Chapitre 13 : Céleste

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Elle ne sait pas où est Hervé. C'est la seule chose qu'elle parvient encore à penser après tout ça, toutes ces nouvelles informations, la découverte de cet endroit, Anna, la façon si étrange dont tout le monde se comporte ici. Toutes ces choses lui paraissent irréelles, loin d'elle, presque incompréhensibles. Alors elle se concentre sur ce simple fait, celui qu'Hervé n'est plus là et qu'il a dû s'en aller quand Anna est arrivée. Elle lui envoie discrètement un SMS lorsque cette dernière l'entraine dans sa chambre, juste pour s'assurer que tout va bien.

- C'est pas dans ces circonstances que je m'imaginais rentrer dans ta chambre pour la première fois, mais très bien. 

C'est trop dur de s'en empêcher. Anna roule des yeux, définitivement excédée et commence à faire les cent pas dans la pièce. Odile déteste ça, mais pour une fois elle ne dit rien. Elle attend simplement que la flic hurle ses directives, elle sait que c'est le genre de choses qui peut la calmer.

- Très bien, on a besoin de faire un point. Tu racontes ce que tu sais, je raconte ce que je sais, on met au point une stratégie d'enquête. J'ai pas toute la vie devant moi, ils croient que je suis malade au commissariat et ça ne durera pas éternellement.

Odile soupire, elle s'attendait à quelque chose du genre. Très prévisible, tout de même. La rousse s'assoit sur le lit, les mains posées à plat sur le matelas. Très confortable, elle espère avoir le même.

- Alors ils vous ont retiré l'affaire, c'est ça ?

- J'ai dit que je n'avais pas beaucoup de temps, Odile.

C'est la deuxième fois qu'elle l'appelle par son prénom, mais c'est la première fois qu'elle le remarque. Il sonne étrangement dans sa bouche, Odile a l'impression de ne l'avoir jamais entendu avant aujourd'hui. C'est dit avec fermeté pourtant, mais sans l'hypocrisie dégoulinante qui caractérise le reste du monde. C'est dit avec vérité, parce qu'Anna ne sait faire que ça. C'est une composante de sa personne, la plus importante. Elle prononce son prénom avec vérité, sans dissimuler les sentiments contraires qu'il lui inspire, sans tricher. Odile trouve ça merveilleux.

- J'ai remarqué sur les réseaux sociaux que Laura posait souvent au même endroit, ici en l'occurrence. Et qu'elle était souvent accompagnée d'une femme, au moins une fois par an du moins. Cette femme. Elle l'appelle "tante Marie" dans les descriptions de quelques photos.

Elle pianote quelques secondes sur son téléphone avant de montrer l'image à la blonde, elle voit qu'elle tique un peu en regardant l'écran, comme si elle avait remarqué quelque chose.

- Il y a un homme derrière elles. Regarde bien. Il fait partie des disparus.

Odile fronce les sourcils et regarde la photo. Merde, elle a raison. Il y a bien un homme derrière elles, même si sa mémoire à ses limites et qu'elle peine à se souvenir de tous ceux aperçu sur la vidéo surveillance de ce jour-là.

- Effectivement. On dirait qu'il regarde la personne qui prend la photo. T'as son nom ?

Anna secoue la tête mais s'empare de sa valise pour l'ouvrir sur son lit. Elle retrouve quelques minutes plus tard la photo qu'elle semblait chercher dans sa trousse de toilettes. À peine parano, ça aussi Odile apprécie.

- Je sais, la qualité est pourrie. C'est une photo d'une photo que j'ai retrouvé chez les Fontaine et que j'ai imprimé. Je suis sûre que ce sont les onze disparus, même si...

- Même s'il y a une douzième personne sur la photo.

Anna acquiesce silencieusement, elle sait que ça la bouffe de l'intérieur : l'envie de savoir. Et c'est la même chose au creux de son ventre, le cœur qui palpite, qui se serre, la sensation de suer davantage et l'envie irrésistible de parler de ce que l'on sait, c'est ce qu'on appelle la passion. Et sûrement un peu la curiosité, aussi.

- Oui, exactement. Une douzième personne qui elle n'apparait pas sur les vidéos de surveillance, cette personne.

Anna pointe du doigt la photocopie, un visage est brûlé. Ou gratté. Effacé. Odile fronce les sourcils, elle sait que cette personne pourrait être derrière tout ça mais n'y croit pas, pas tout à fait.

- Ça pourrait être elle, l'ombre ?

La blonde hausse les épaules, visiblement indécise. Elle s'assoit à côté d'Odile et pointe du doigt un nouveau personnage, monsieur chemise à fleurs.

- Lui, il s'appelle Jacques. Il était aussi sur une photo des Fontaine que j'ai trouvé en perquisitionnant. Pour ce qui est du lieu...

Anna hésite, Odile sent qu'elle pense à mentir et ça la fait sourire. Elle sait qu'elle en est incapable, c'est plutôt drôle.

- J'y suis retournée par la suite, chez eux. Et il y avait beaucoup de cartes postales de ces thermes, depuis longtemps. J'ai décidé de tenter le coup, même si ça paraissait un peu dingue. Je vois que tu as fait la même chose.

- Attends, ça veut dire que... tu as fait quelque chose d'illégal ?

La journaliste place une main devant sa bouche, faussement choquée, au bord de l'évanouissement. 

- Ça veut dire que... tu as enfreint les règles ?

Un oreiller la surprend en frappant sa joue et en la faisant basculer légèrement. Elle se retient de rire en voyant la mine satisfaite de la flic mais reprend très vite son sérieux en voyant que cet air disparait, la légèreté entre elles aussi.

- Il faut qu'on retrouve cette dame.

Et ça, Odile peut tout à fait le comprendre.

***

- Et on fait ça comment au juste ?

Plus le temps passe, plus elle se dit qu'elles n'y parviendront jamais. À moitié accroupie dans l'ombre du couloir, un étage au dessus de leurs chambres, Odile commence à légèrement douter des capacités d'Anna à mener une enquête.

- Qu'est-ce que j'en sais ? Il y en a des tonnes des vieux, tout ce qu'on sait c'est qu'elle est ici.

La blonde murmure en criant, ostensiblement agacée. Elles n'ont strictement aucune indication sur la localisation de la chambre où se trouve la femme qu'elles ont aperçu dans le couloir quelques heures plus tôt, aucune. Elles ont attendu que la nuit tombe pour se faufiler comme des ninjas à l'étage supérieure mais maintenant qu'elle y sont, Odile se retrouve curieusement démunie.

- C'est bon, c'est pas la peine de me hurler dessus non plus. J'y suis pour rien moi si tu n'as pas de plan après tout, et puis à quoi tu pensais quand...

- Victor ?

Les deux compères se redressent d'un coup, Odile sent même un frisson glacé lui courir l'échine. C'est elle, pas de doute. Elle est restée bloquée dans le temps, qui sait depuis quand ? Peut-être que l'évocation des disparus a réveillé des souvenirs chez elle ou peut-être bien qu'elle n'a jamais cessé de penser à eux. À lui. Qu'elle est restée bloquée dans une époque révolue et lorsque son cerveau a commencé à rendre les armes, il est le seul à être resté. A avoir survécu aux dommages du temps, de la vie, de l'oubli. Il est le seul.

- Viens, c'est par là.

Odile est tirée de ses pensées par Anna qui attrape son poignet et y laisse une marque brûlante lorsqu'elle reprend sa main. Elle se laisse guidée, incapable d'identifier la source du bruit d'elle-même. La vieille rappelle et Anna pousse la porte qui heureusement, n'est pas verrouillée. Des aide-soignantes doivent passer régulièrement s'assurer que leur pensionnaire va bien, elles ne vont pas avoir beaucoup de temps. C'est Anna qui entre la première et quelque chose change dans l'air à nouveau, Odile peut aisément le sentir. C'est comme de l'électricité qui coule dans ses veines lorsque la vieille parle à nouveau.

- Oh Céleste, c'est toi. Où est Victor ?

MemoriaeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant