Rancune familiale

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J'ai toujours eu la prétention de me considérer comme une personne très directe. C'est un talent dans le monde journalistique, recherché, que celui de ne pas se satisfaire de demi-réponse et de savoir pousser les gens dans leurs retranchements. Certains s'en servent pour extirper la vérité, d'autre pour tenter de tirer des affirmations qui, sorties du contexte de pression des questions, seront plus simples à détourner - chacun a sa définition d'éthique journalistique, après tout, qui suis-je pour juger? 

Pourtant, mise face à la possibilité de l'implication de Da-jee-ha dans cette étrange théorie de marché noir transitant par les terres suomen, j'avais bien du mal à reprendre ma propre définition de l'éthique journalistique de laquelle je me suis tant vantée. Comment mettre au pied du mur une femme qui vous a accueillie lorsque vous étiez au plus bas, quand bien même vous êtes la personne qu'elle aurait le plus de raison de haïr sur cette terre? Par ma faute, par mes actions, j'avais causé la mort de Kaya'olm, sa compagne, la femme qu'elle aimait. Et pourtant, alors même que j'étais condamnée à mourir, alors même qu'elle était probablement favorable à ma execution, elle m'a accueillie sous son toit, m'a traitée en invitée, et, même Hen'Ruay disparue, a continué à me soutenir, comme une amie fidèle, comme un soutiens indéfectible, malgré les différences inhérentes à nos cultures si éloignées. Ne serait-ce pas une chose terrible à lui faire que de lui demander des comptes vis à vis des activités de trafic du syndicat sur ses terres, qui sont - justement - ses terres, à elle et son peuple, pour laquelle il a dut se battre? Mais d'un autre côté, ne serait-ce pas hypocrite de ma part de ne pas lui tenir rigueur de cela, quand il semble aussi évident que l'Epaggelia en question tente de museler toute tentative de discussion pacifique entre suomen et gouvernement, en distribuant des armes aux premiers, en apportant son soutiens aux traditionalistes, et en ayant fait pression sur moi pour me faire taire, jusqu'à me faire tirer dessus. 

Pour être honnête, j'avais beaucoup d'appréhension à l'idée de seulement poser des questions à mon amie et hôte. Santoni, lui, ne semblait pas avoir la même retenue, mais les quelques traces de crainte qui existaient encore chez lui suffirent à le convaincre qu'il était potentiellement dangereux de s'aliéner une tribu armée de suomen en posant des questions qui fâchaient. Il fallait être... diplomate. Ca n'avait rien d'un exercice simple, mais c'était la moindre des choses que je puisse faire après avoir tant reçu de la part de cette femme.

Mais tandis que je me torturai à l'idée de chercher une manière d'aborder le problème, ce fut Da-jee-ha qui vint à moi avec une toute autre interrogation, non sans lien, cependant.

-Ce kowo que toi amener... demanda-t-elle en s'asseyant à la table où je me morfondais en observant les enfant du village en train de réaliser une des forteresses de neige les plus impressionnante que j'ai jamais vue - bien que mon expérience en la matière était assez limitée. Lui être qui?

-Santoni? C'est un... 

J'allais dire un détective, et je m'arrêtais au bon moment, réalisant que ce n'était probablement pas la meilleure chose à dire si elle cachait réellement quelque chose. Mais d'un autre côté... c'était sans doute l'un des meilleurs moyen de la pousser à parler. 

-C'est un détective privé. Continuai-je alors après une courte pause. Une homme qui enquête. Je l'ai rencontré sur une affaire il y a quelques années, et j'ai eu de nouveau recours à ses services récemment. 

-Lui... toi faire confiance?

-Je ne l'aurais pas amené ici avec moi, sinon. Rassurai-je Da-jee-ha. Pourquoi?

Da-jee-ha détourna quelque peu le regard. Elle était toujours très difficile à lire, et son manque de maîtrise du français n'aidait pas. Cependant, ces yeux qui semblaient éviter les miens ne me trompaient pas.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant