even if i have to die for you || bungou stray dogs

"from the trembling dark world„ [akutagawa]

Texte inspiré par les paroles de Yuragu antan no sekai kara, character song d'Akutagawa chantée par son doubleur Kenshō Ono.
Merci à tintaglia27 pour sa lecture et ses corrections et suggestions !

Le port de Yokohama sous le coucher de soleil était un spectacle des plus apaisants.

Pourtant... Pourtant cela ne suffisait pas. Peu importait la beauté du paysage qui s'offrait à ses yeux gris, son cœur restait vide, sec. Peu importait la chaleur du soleil sur sa peau plus blanche que celle d'un cadavre, le froid dans son corps persistait. Rien ne changerait jamais. L'ombre l'avait vu naître et grandir, l'obscurité resterait son monde. Quel autre avenir pour lui ?

Les derniers rayons de soleil jetaient sur les hauts immeubles de Yokohama leurs reflets orangés, étincelants. Akutagawa fronça les sourcils face à ce spectacle qui l'éblouissait. L'éclat de la lumière dans les fenêtres brûlait sa rétine. Il se retourna pour s'accouder à la balustrade, observant l'eau calme. Elle aussi reflétait le soleil orangé du crépuscule.

Le bonheur.
Il lui était aussi inaccessible que cette lumière vive dans l'eau du port. Si proche. Il lui suffirait d'enjamber la barrière et de sauter pour l'atteindre. Mais pourtant si lointain. Jamais il ne pourrait la saisir. Il plongerait sa main dans l'eau, là où miroitait le soleil. Il refermerait alors son poing. Mais lorsqu'il le sortirait de l'eau et l'ouvrirait, il ne resterait que quelques gouttes coulant le long de sa peau, jusqu'à rejoindre l'immensité de l'océan.

Son bonheur était aussi éloigné que le reflet d'un rayon de lumière dans l'océan. Impossible de s'en saisir. Peu importait les efforts qu'il ferait, peu importait la force qu'il déploierait, jamais il n'y arriverait. Le bonheur était inaccessible pour son être encore trop faible.

Il aurait aimé échapper à cette tristesse sans fin, lui qui se noyait dans son affliction. Il le désirait, de tout son corps, de toute son âme, de tout son cœur. Il ne pensait qu'à cela. Il ne vivait plus que pour cela. Et il en suffoquait. Ce désir de bonheur, cette envie de vivre réellement l'étouffait. À cette pensée une violente toux secoua tout son corps. Akutagawa tomba à genoux, le bas de son visage couvert par sa main. Il toussa, encore, douloureusement. Il voudrait s'échapper de ce monde sombre et tremblant, ce monde de noirceur. Il lui fallait échapper à cette douleur, cette souffrance autant physique que morale qui le poursuivait, s'accrochait à lui. Il y aspirait tant.

Bien que sa toux se fût arrêtée, il restait à genoux, poings serrés sur le sol dur. Son corps tremblait, si fort. Son corps faible, trop faible. Il semblait sur le point de se briser.
Pas seulement son corps ; son être tout entier. Il aspirait si fort à ce bonheur. Mais toujours, l'ombre, le malheur, la tristesse, la haine. Tout ce qui faisait sa vie, tout cela revenait, lui sautait dessus, l'écrasait au sol. Le piétinait. Le rappelait parmi les ténèbres. Dans ce monde qui était le sien, depuis toujours. Alors pourquoi ? Pourquoi espérer toujours un peu plus alors qu'il n'obtenait que souffrances ?

Un jour, il l'avait entraperçu. Son bonheur avait été si proche durant une fraction de seconde. À peine avait-il tendu le bras qu'il s'était envolé. Loin, si loin de lui. Mais il l'avait vu. Ce rêve devenu réalité un instant. Et depuis, il enchaînait son cœur. Son cœur qui errait à la frontière entre l'ombre et la lumière.

Il avait entraperçu ce qu'était le bonheur, l'avait effleuré du bout des doigts. Et à présent, il était prisonnier de cette douce illusion. Parfois, lorsqu'il fermait les yeux, il s'échappait quelques instants de la profondeur des ténèbres où il vivait, et il percevait à nouveau ce rêve. Ce rêve, horrible dans sa beauté, source de tant de souffrance dont pour autant il ne parvenait à se défaire.

Son cœur existait. Son cœur amorphe s'était réveillé en percevant la belle illusion. Il était sorti de sa torpeur. Il l'avait à nouveau senti battre dans sa poitrine maigre. Il avait trouvé son cœur en trouvant un rêve.
Son cœur souffrait. Ce rêve qui lui avait donné vie le maintenait dans les chaînes d'un espoir vain. Mais ce cœur battait. Alors qu'il tombait toujours plus profondément dans l'abîme des ténèbres, son cœur battait. Si son cœur était vivant, alors peut-être que son souhait le plus cher pourrait se réaliser... Peut-être devrait-il continuer d'espérer... Peut-être...

Il était trop faible. Faible, faible, et aucun de ses efforts ne suffirait pour se saisir de cet avenir éblouissant qu'il imaginait. Peu importait les efforts qu'il ferait, peu importait la force qu'il déploierait, jamais il n'y arriverait. Le bonheur était inaccessible pour son être encore trop faible. Il continuerait d'étouffer dans ce monde d'ombres qui était le sien. Hier, aujourd'hui, demain ; rien ne changerait. Il étoufferait toujours. Mais cet espoir continuerait de faire battre son cœur. Alors il ne l'oublierait pas. Jamais. Si un jour il pouvait atteindre son rêve et l'embrasser de tout son être, si un jour il pouvait croiser le regard de ce rêve, ne serait-ce pas merveilleux ?
Bien sûr, ça le serait. Bien plus que ce monde sombre et tremblant qui était le sien.

Akutagawa se releva lentement. Il fixa le port de son regard mort. Les silhouettes des bateaux, celles des immeubles se détachaient dans la lumière orangée du crépuscule. Le jappement des mouettes résonnait à ses oreilles. Le soleil embrassait sa peau à la pâleur cadavérique. Le vent iodé secouait légèrement ses cheveux et faisait voleter son long manteau noir. Le coucher de soleil sur le port de Yokohama recevait une beauté ensorcelante. Tout comme son rêve de bonheur.
Il embrassa une dernière fois le paysage de son regard gris puis tourna les talons et marcha sans se retourner dans les rues à présent plongées dans l'ombre de la ville. Un jour, il atteindrait son rêve. Un jour, il serait heureux. Un jour, il partirait de ce monde sombre et tremblant.