~ Chapitre 1 ~

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Je sens le regard meurtrier de mon voisin d'en face se fixer sur moi. Il attend le meilleur moment pour m'étrangler de ses deux grandes mains. Je lui fais un petit sourire très perceptible sous mon masque. Non monsieur, je n'arrêterai sûrement pas de bouger mon pied pour votre bon plaisir. Mes doigts tapotent légèrement sur le rebord de la fenêtre au même rythme que la batterie de ma musique. Il est 18h, le train en départ de Séoul est presque bondé. Je laisse à cette ville ma mauvaise journée - pour ne pas dire pourrie. Deux cafés renversés. En renverser un est déjà signe de mauvaise augure, mais là, deux, j'aurais dû me douter que l'avenir ne me réservait rien de bon. C'est à l'université que j'ai remarqué avoir oublié mon ordinateur ; il m'attendait gentiment, branché à l'appart'. Les lignes des feuilles, je les ai vues passer et passer par centaines. Hors de ma vue, crayon, adieu, papier ! Cette misérable journée fut même entrecoupée d'un sandwich ayant le goût d'une vieille éponge. Cerise sur le gâteau, cerise de trop. Alors tant pis pour ce voisin d'en face qui se prend deux places au lieu d'une, au moins j'extériorise toute cette négativité par du bon vieux rock. Tiens, d'ailleurs, il s'en va. Bon débarras !

J'étends mes jambes pour m'étirer un peu quand une écolière s'y installe. Dommage... Nos regards se croisent. Elle porte le même uniforme que les filles de mon ancien lycée.

En temps normal, je n'aimerais pas qu'on me dévisage comme elle le fait. Le regard des autres sur ma personne me fait un peu peur, il faut bien l'avouer – surtout quand je porte ce crop top en laine arc-en-ciel. J'ai un style et des goûts assez particuliers, une personnalité légèrement déjantée. Je suis timide mais cette timidité me pousse à avoir un caractère excentrique, foufou, face à des personnes que je ne connais pas. Je suis bien souvent plus mal à l'aise qu'eux devant mes idioties. Cependant, aujourd'hui, après cette misérable journée, ce que peuvent penser les passagers du train ne m'atteint pas. Après tout, que pourrait-il m'arriver de pire ?

Le rock se calme et la musique dans mes oreilles se fait plus douce. Ma tête se repose doucement contre la vitre glacée. Je regarde la banlieue défiler devant moi et céder sa place à la nature. J'ai toujours aimé prendre le train, c'est reposant, loin des bouchons dans lesquels les taxis et les bus peuvent être pris.

Nous arrivons en gare de banlieue. Ici aussi il y en a, ils font du surplace par groupes de deux, l'arme portée à l'épaule. Je déteste ça. Les militaires sont partout maintenant. Leur vision me projette déjà à une guerre qui n'est pas encore déclarée. Cela ne saurait tarder, le monde n'attend qu'un prétexte pour se fissurer et s'entre-tuer... Bientôt, ce sera moi à la place de ces militaires, uniforme boutonné jusqu'en haut, képi sur un crâne rasé. Rien que de m'imaginer ainsi, ça me fait froid dans le dos. Si la troisième guerre mondiale éclate, va-t-on m'appeler à combattre ? Je suppose que oui. J'aimerais que l'on trouve que mon nom ne fait pas assez guerrier pour m'envoyer sur un champ de bataille. Ou devrais-je me faire passer pour fou dans l'espoir d'y échapper ? Quelle angoisse...

Je détourne rapidement les yeux vers les passagers de mon wagon et c'est là que je le reconnais, ce même passager que j'ai remarqué il y a plusieurs mois, déjà. On prend presque tous les soirs le même dernier compartiment, moi, parce que je n'ai pas envie de marcher plus loin, lui, parce qu'il arrive in extremis avant que les portes ne se ferment. Il reste souvent debout les premiers arrêts comme s'il n'osait pas s'imposer. Parfois, il lui arrive d'hésiter longtemps avant de s'asseoir. Pourtant, on dirait bien que ses journées sont aussi misérables que celle que je viens de vivre. Dès qu'il s'assoit c'est comme si le poids du monde écrasait ses épaules. Il se tient droit, cherchant à garder un dernier semblant de dignité dans la misère. Il reste quelques arrêts à fermer les yeux, pour se ressourcer, penser ou partir dans un univers parallèle où il existe un train avec assez de places pour tout le monde - je suppose. Quand il rouvre ses yeux de chat, il me semble aller mieux, il s'autorise quelques fins sourires en regardant par la fenêtre ou ses voisins d'en face.

Ateez - Mister BG porte plainte {OS Minjoong}Where stories live. Discover now