~ Chapitre 2 ~

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J'arrive in extremis dans le train avant que ses portes automatiques ne se referment. Essoufflé, je m'adosse contre elles pour reprendre ma respiration. J'arrive toujours en retard et pas seulement à la gare, je me réveille même en retard, incapable d'entendre les sonneries de mon téléphone. Je passe ma vie à courir partout, dans un sens puis dans l'autre, sans m'arrêter. Malheur ! Si je m'arrête, le retard me rattrape et impossible de s'en dépatouiller avant le lendemain. Pour ce qui est du train, j'aurais pu me faciliter la tâche et ne pas habiter dans un village où le train ne passe qu'une fois toutes les deux heures. Une place dans mon champ de vision se libère. Je la regarde avec envie mais je la laisse à une écolière. Un autre siège près de la fenêtre se vide. J'attends quelques secondes que les personnes autour de moi se décident, mais aucun des passagers n'a l'air de vouloir s'asseoir. Je m'y installe alors avec contentement, mon sac à mes pieds.

Pouvoir prendre place confortablement sur un de ces sièges après une course est toujours réconfortant. Je laisse ma tête reposer contre la vitre, la respiration encore un peu difficile. J'aimerais fermer les yeux, me laisser aller à la somnolence, donner un peu de repos à mes yeux fatigués mais le paysage m'attire à chaque fois. Nous sommes déjà à la sortie de Séoul, il n'en reste plus que des immeubles de banlieue. Bientôt, ils seront eux aussi remplacés par les champs, les bois et la carrière dont j'essaye de voir le fond en tendant le cou.

Le train fait remonter en mémoire des souvenirs de mer. C'est spontané, je n'ai pas à y penser que déjà, je suis au bord d'une falaise, l'océan s'étendant à perte de vue devant moi. Je prenais le train tous les week-ends avec ma mère pour aller sur la côte. Nous nous baladions au sommet des falaises, le vent gonflant nos vêtements d'air marin pour nous frigorifier les os et faire couler notre nez. Une impression de surplomber un monde à l'horizon effacé tant le bleu du ciel se mélange à celui de la mer. J'aimerais y retourner pour respirer cette odeur salée. Je m'éloigne de la plage et de ses paysages paradisiaques ; le train s'arrête dans un crissement de frein et me laisse comme vue des militaires sur un quai de gare presque désert.

La Troisième Guerre mondiale éclatera dans quelques jours à peine, tout le monde le sait et tout le monde observe en silence l'armée se mettre en place dans chaque ville, jusqu'à prendre possession des petits villages. J'appréhende le jour où je vais être enrôlé de force. Je suis journaliste, peut-être n'aurais-je pas à aller au front pour relater ce nouveau chapitre de l'Histoire. Je détourne les yeux, mal à l'aise, mon grand frère est encore en service militaire. Il n'a plus qu'un mois à tenir mais je crains que la guerre ne se déclare avant... Une boule se forme dans ma gorge.

Mon regard parcourt lentement les passagers autour de moi. Je me demande quelle est leur vie, pourquoi sont-ils dans le train exactement. Ont-ils aussi peur de la guerre que moi ? J'aime beaucoup leur inventer des histoires, cela m'aide à me dire qu'ils sont comme moi, qu'ils ont des sentiments, une conscience qui leur est propre, des peurs, des passions. Il m'arrive de penser être le seul être humain autour de coques vides comme lorsqu'on joue à un jeu vidéo et que les autres personnes sont contrôlées par l'ordinateur. Je m'efforce chaque jour de prendre conscience que tous ces Hommes sont des coquilles remplies d'amour, de colère, de raison, d'immoralité... mes yeux rencontrent enfin la personne que j'espère voir tous les jours dans ce wagon. Dans ma diagonale, mon petit homme à histoires préféré. Toujours à la même place, toujours à écouter sa musique, l'épaule contre la vitre. Depuis que je l'ai repéré en début d'année, c'est celui qui fait naître le plus de questions. Est-il un étudiant, un jeune travailleur ? Est-il plutôt riche ou peine-t-il à finir les fins de mois ? Mais sans doute vit-il encore auprès de ses parents, avec un chien ? Un chat ? Peut-être trois ou juste un poisson rouge à qui il raconte sa journée en rentrant à la maison. Plusieurs fois je lui ai imaginé un destin plus terrible, plus noir : un jeune mafieux sous couverture arc-en-ciel, parti rejoindre le maître de la bande, un délinquant qui garde dans son sac quelques drogues ou alors un jeune homme rongé par une maladie que je n'arrive pas à distinguer. Il est probable qu'il ne soit rien de tout ça, héros d'une histoire que je ne lui ai pas encore inventée.

Ateez - Mister BG porte plainte {OS Minjoong}Where stories live. Discover now