1 | Un grand loup gris en guise d'ombre

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Je me souviens du jour où mon père m'a donné ma première leçon de tir à l'arc. Avec ma petite moue concentrée, mes cheveux châtains tressés et en robe colorée, j'avais tout juste huit ans.

— Tu tires bien sur la corde, voilà, parfait.

J'étais fière qu'il m'accorde enfin le droit de cette pratique réservée « aux grands », ainsi que totalement captivée par ses mots. Un peu trop, d'ailleurs. Vous allez vite comprendre pourquoi je vous dis ça.

— Maintenant vise, Elora, en gardant tes deux yeux bien ouverts.

Ok papa.

Ma respiration saccadée même si ma cible n'était rien d'autre qu'un arbre, je n'entendais que sa voix chuchotant près de mon oreille. Pour une fois, la forêt se taisait, comme pendue à mon geste puisque j'apprenais comment la blesser.

— À trois, tu lâches tout.

À trois, je lâche tout.

Ça avait l'air simple !

— Un.

À trois...

— Deux.

Je lâche...

— Trois.

Tout !

J'ai vraiment tout lâché. Ouais ouais, l'arc avec, provocant un immense fou rire chez mon père. Encore aujourd'hui il raconte l'anecdote à qui veut l'entendre alors que j'ai dix-huit ans et suis devenue une archère émérite se distinguant dans les compétitions de la région du lac d'Eroly.

Sympa, merci.

Je n'ai jamais tué, bien qu'il ait essayé de m'apprendre... espérant qu'ainsi j'accepterais de manger de la viande et deviendrais « normale » aux yeux des autres. Malgré tout, il n'a tenté qu'une seule fois de m'amener à la chasse. Ce jour-là – face à mon refus de tirer sur une biche – la forêt a chanté si fort que mon père n'a pu dissimuler sa crainte de ma différence. Attention, ne vous y trompez pas... il n'a nullement eu peur de moi, non. Mais pour moi. Car depuis que je suis toute petite, les animaux sauvages viennent me voir et je peux les toucher avec une étrange facilité. D'aussi loin que je me souvienne, les bois semblent s'éveiller dès que j'y pose un pied. Vous vous en doutez, je n'ai jamais eu le droit d'en parler ou de le montrer à qui que ce soit. J'ai compris pour quelle raison au fil du temps donc me montre prudente. Il est évident que je risque d'être prise pour une sorcière – quand bien même je doute de leur existence – si ce secret venait à être ébruité. Mais...

Peut-être en suis-je une, après tout ?

Je m'occupe de notre potager, le plus beau de toute notre communauté. Ma mère prétend que je suis connectée à la nature et que c'est un don précieux. Que ma grand-mère était ainsi. Dans sa famille, le bruit court que nous descendons des elfes. Ceci est une légende au même titre que le reste, bien sûr. Aucune trace de ce peuple n'ayant été découverte dans notre monde – Omëza – je me demande d'où viennent toutes ces histoires.

L'imagination est vraiment quelque chose de fascinant.

Toutefois, je me plais à rêver que c'est réellement le cas et que je suis Elora Foreas, héritière d'une grande lignée d'êtres respectueux de la nature ainsi que de la vie sous toutes ses formes. Dans votre univers, on dirait sans doute que je suis une bobo végétarienne antispéciste. Ici je suis juste la fille étrange, cela me convenant. Pour vous en dire plus, sachez que j'ai peu d'amis mais qu'avec Jonas Istark et Olios Ruby, nous formons un parfait trio depuis notre petite enfance. Ils sont les seuls – en dehors de mes parents – à connaître mon secret. Que la forêt chante pour moi. D'ailleurs, papa était furieux lorsqu'ils l'ont découvert après que l'un de nos jeux nous ait entraînés par mégarde parmi les arbres. Cet après-midi ensoleillé là, nous avions croisé une meute de loups. Mes deux amis ayant la peur de leur vie, j'étais la plus heureuse, fonçant vers eux – du haut de mes douze ans – avec la plus totale insouciance. Lorsque ma paume tendue a rencontré le museau d'un louveteau, ils ont retenu leur souffle pendant que dans l'air s'élevait la mélodie des oiseaux et du vent. Croyez bien qu'après ce spectacle, j'ai eu des comptes à leur rendre ! Il y avait de la lumière sur ma peau, ont-ils dit à l'époque. Personnellement je n'ai rien remarqué, occupée à jouer avec une petite boule de poils absolument craquante.

Lorsque la forêt chanteWhere stories live. Discover now