4 | Le tour de vos griefs

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Passant ma jambe par-dessus l'encolure de Nerad, mes pieds nus rejoignent le sol à quelques centimètres de l'indésirable – séduisant – prince n'ayant cessé de me scruter.

J'ai de la terre sur le visage ou quoi ? Je sais... Ça m'arrive tout le temps ! Il n'empêche que c'est impoli de fixer les gens avec tant d'insistance !

— Parlez-vous toujours du cheval ?

Pas du tout !

— Quoi d'autre ?

Me plaçant face à l'équidé, je sors une carotte de la poche de ma robe, la croquant avec désinvolture avant de lui donner le reste. Ensuite, je me dirige vers mon père – qui déborde d'inquiétude – déposant un baiser sur sa joue avec toute mon affection.

— Cesse de t'inquiéter, tout ira bien, chuchoté-je à son oreille.

Cela fait dix-huit ans que nous y parvenons, après tout. Il n'y a aucune raison pour que cela change. En guise de réponse il m'enlace en soupirant, essayant d'avoir l'air naturel. Franchement ? Il a tellement mieux fait d'opter pour une carrière de conseiller plutôt que d'acteur !

— Allons faire cette promenade, suggère-t-il.

Mauvaise idée finalement, papa ! Je te l'avais proposée lorsque je pensais que nous n'étions que tous les deux !

— Il me paraît plus judicieux d'aller dîner, contré-je vivement. Je voudrais éviter de retenir le prince trop longtemps.

Plus vite il mange, plus tôt il part ! C'est d'une logique implacable ! Non ?

— J'ai tout mon temps, réplique le concerné.

Ah. Quelle chance !

— Et moi, j'ai faim, grogné-je, levant impulsivement les yeux au ciel.

Prenant une longue inspiration pour rassembler les vestiges de mon calme, je commence à m'éloigner, choisissant d'ignorer à quel point ma réaction semble l'amuser.

— Je vais raccompagner Nerad à l'écurie, je vous rejoins à la maison.

L'attirant avec un autre légume, je me fige lorsque je réalise que quelqu'un emboîte notre foulée. Oui. Je dis « quelqu'un » parce que je préfère rester dans le déni, voyez-vous.

— Que faites-vous ? grondé-je.

— Je vous accompagne, déclare-t-il en souriant, à nouveau terriblement arrogant.

Je ne suis guère idiote, je le vois bien !

— Pour quelle raison ? demandé-je fébrilement, les yeux plissés par la contrariété.

— Ainsi votre père peut informer votre mère de ma présence, explique-t-il, accompagnant son propos d'un haussement d'épaules des plus nonchalants. Ce sera plus correct que de la prendre par surprise.

Ah. Cela ne t'as nullement dérangé en ce qui me concerne, pourtant !

— Nous vous rejoignons dans quelques minutes, décide-t-il, épinglant mon père avec sérieux.

Évidemment, papa n'a d'autre choix que de céder – vous vous en doutez – alors il opine puis se détourne, clairement à contrecœur. Bien entendu, ce n'est pas qu'il s'inquiète de laisser sa fille seule avec un homme, puisqu'il s'agit là d'un grand mot en présence de Loaf, silencieux mais attentif, comme toujours. Non. Il a plutôt peur que mon caractère ne m'attire des ennuis et que je me retrouve demain dans la forêt en direction de problèmes encore plus gros. Nerad entamant sa troisième carotte avec appétit – sans que je n'ai bougé – le prince-je-te-crée-des-soucis s'approche, provoquant un froncement instinctif de mes sourcils.

Lorsque la forêt chanteWhere stories live. Discover now