Invisible

17 - Zola

« Ce n'est pas parce qu'on est victime d'une injustice qu'on doit être injuste. »

– Ruta Sepetys.

J'ai toujours eu l'impression de partager ma vie entre deux personnalités.

Celle que j'étais et celle qu'on voulait que je sois.

Mes parents espéraient des enfants forts, combatifs, insensibles.

Ils nous souhaitaient influençables aussi, afin de pouvoir nous modeler, à leur guise, en parfait petits tueurs à gage.

Ils voulaient créer des monstres.

Sauf que moi, j'ai toujours été terrifiée par les monstres sous le lit, dans le noir.

Je refusais de devenir comme eux.

Petite, je passais des heures à la bibliothèque de l'école, assise par terre, à dévorer des livres.

Ils m'ont permis de découvrir ce que mes parents ne m'apprenaient pas : que le monde est fait de bonnes et de mauvaises personnes.

J'ai très vite su de quel coté de la barrière je voulais me tenir.

Néanmoins, j'ai tellement dû prétendre être celle que je n'étais pas que j'ai peur de vraiment le devenir.

Où se trouve la limite entre la comédie et la réalité ?

Que ferais-je le jour où le monstre que je jouais se confondra avec celle que je suis ?

Le vent froid de Décembre me fouettait le visage alors que nous marchions silencieusement dans les rues new-Yorkaises. Me tenant au bras de Clyde qui me guidait à travers la foule, je n'osais émettre un son sous peine d'exploser, sans savoir si ce serait de colère ou de tristesse

– Zola, tu pleures, m'informa doucement Clyde.

J'essuyai les larmes traîtresses du revers de la main, toujours silencieuse.

– Je suis sûr que Joe ne le pensait pas, continua-t-il, Il était fâché, et on peut dire des choses terribles quand on est en colère.

Pour être honnête, je n'en voulais pas à mon meilleur ami. Joe avait toujours été maladroit ; il avait cette vilaine tendance à aller trop loin dans ses mots lorsqu'il se fâchait. Hors, je l'avais blessé en disant que je souhaitais rester avec Jared et il avait voulu me blesser en retour. C'était un comportement puéril, certes, mais je connaissais assez bien mon ami pour savoir qu'il était surtout guidé par l'inquiétude. Je l'aimais tellement, il m'avait sauvé la vie tant de fois, qu'au moment où il s'excuserait, il serait pardonner.

Peut-être, même, l'était-il déjà ?

Mon vrai problème consistait en les doutes qui s'étaient imposés en moi après ses déclarations.

– Et si il avait raison ? soufflai-je, Après tout, c'est cette famille qui m'a élevée. Ils m'ont formaté à être une tueuse, peut-être que je deviens comme eux ?

Clyde se figea dans la rue.

– Mon père me battait, déclara-t-il finalement au bout d'une éternité, Et quand ce n'était pas des coups, c'était pire. Des choses que je ne peux même pas raconter, des actes qu'aucun enfant -ni aucun humain- ne devrait subir.

– Oh mon Dieu, Coal...

– Alors je te pose la question, Zola, m'interrompit-il, Penses-tu que, parce que l'homme qui m'a élevé était un monstre, moi aussi je frapperai mon fils ?

Je laissai échapper une exclamation de surprise.

– Non ! Bien-sûr que non. Tu n'es pas comme ça.