- Chapitre 1 -

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Je me suis enfuie. Comme une lâche. Dans la panique, j'ai tout quitté. J'ai démissionné, rendu mon appartement, délaissé ma rue et mon quinzième arrondissement. En arrivant chez mes parents, je suis restée plusieurs jours enfermée, à pleurer. Ma vie était déjà misérable depuis notre séparation : là elle devenait à peine supportable. J'ai supprimé mes réseaux sociaux, changé de numéro, et j'ai décidé de repartir à zéro.

Je me suis persuadée que c'était la meilleure chose à faire, que je finirais par m'en sortir. La chance m'a souri sur certains points : quelques semaines après mon départ, en me promenant le long de la côte cabourgeaise, je suis tombée sur une petite librairie au charme ancien. A l'intérieur, j'ai rencontré Gérald, un vieil homme amoureux de ses livres. Contre toutes attentes, nous sommes devenus amis. Il venait de perdre sa femme, je venais de laisser derrière moi tout ce que j'avais construit à Paris. Nous nous comprenions, et notre passion pour Proust n'a fait qu'accentuer notre entente. Et j'ai appris que j'étais enceinte. Je savais que l'Entourage était au Japon. A part quelques-uns des gars, tout le monde avait déserté la capitale et je n'ai pas eu la force de remuer le passé. Durant ma grossesse, je venais tous les jours à la boutique. Avec Gérald, nous parlions pendant des heures de nos lectures et de nos rêves. C'est lui qui m'a poussé à me relever et sans fausse modestie, je crois que j'en ai fait de même pour lui.

Sneaz est la seule personne de ma vie d'avant à connaître l'existence de Naya. Il m'a retrouvé deux jours après mon accouchement. J'étais toujours à la maternité, ce sont mes parents qui l'ont accompagné pour me voir. Il avait retrouvé leur numéro dans l'annuaire et même si c'est ce que j'avais souhaité en fuyant sans vraiment laisser de traces, j'ai ressenti un pincement dans mon cœur quand je me suis rendue compte qu'il était le seul à s'être inquiété pour moi. Je le revois entrer dans ma chambre à l'allure impersonnelle, l'air un peu perdu. A ce moment-là, il est resté debout au milieu de la pièce avant de se mettre à tourner en rond comme un lion en cage, les deux mains triturant ses cheveux.

- Lou, je comprends rien...

C'est tout ce qu'il m'a dit. Il s'est arrêté, m'a regardé dans les yeux, puis ses iris se sont posées sur le petit être que je tenais entre mes bras. Je ne savais pas quoi répondre, j'avais les larmes aux yeux. J'avais conscience que ma décision était incompréhensible : moi-même je ne pouvais réellement l'expliquer. Je lui ai demandé de s'installer près de moi, puis nous avons parlé. J'ai évoqué la douleur de la séparation, le choc lors de l'annonce de la grossesse, le besoin de partir loin de tout ce qui me faisait mal.

- Je me suis persuadée que vous ne le sauriez jamais, j'ai fini pas murmurer.

Il a secoué la tête.

- Mais Lou, on est amis depuis plus de quatre ans. Je pouvais pas juste te laisser disparaître... Tu sais, les autres ont demandé de tes nouvelles à Ken, au début. Mais lui aussi, ça lui faisait mal de parler de toi. Alors on s'est juste dit qu'on attendrait que le temps dissipe tout ça avant de te recontacter.

Contre moi, Naya a poussé un petit gémissement, et notre attention s'est reporté sur elle.

- Je l'ai appelée Naya.

Il a effleuré sa joue du bout des doigts avant de soupirer.

- Tu peux pas lui cacher qu'il a un enfant. Et moi je peux pas lui mentir. Il faut lui dire, et le plus tôt sera le mieux.

Je me suis immédiatement mise à paniquer. Je ne pouvais pas, je n'étais pas prête à lui expliquer, le confronter.

- Non, Mo, je t'en supplie. Je peux pas faire ça, j'en suis incapable. On avait déjà parlé de notre avenir ensemble, il m'avait dit qu'il ne se sentait pas prêt à être père : je ne veux pas lui imposer ça. Et quand on s'est quitté, il m'a juré de ne plus jamais me revoir... Je peux m'en sortir sans lui, et il s'en sortira beaucoup mieux sans moi.

L'Embrun | NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant