- Chapitre 2 -

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- Lou, je t'avais dit que c'était pas une bonne idée... Comment tu te sens ?

A vrai dire, je ne sais pas ce qui est le plus douloureux entre l'album d'origine et son extension. Si LEV parle de notre rupture en des termes difficiles, Expansion évoque son passage à autre chose, et le retour de l'amour dans sa vie. Ça fait mal. J'ai passé deux heures à écouter l'album, hier soir. Puis j'ai recommencé deux fois. Heureusement que l'on est samedi : je n'aurais clairement pas pu me rendre à la librairie ce matin – Gérald aime revenir s'occuper seul du magasin pendant les weekends.

Je soupire :

- Ecoute Mo, je sais que tu t'inquiètes pour moi, mais ça va aller, ne t'en fais pas. Oui, c'est dur, mais je m'étais préparée à ce que ça arrive, un jour ou l'autre.

J'ajoute, d'un ton qui se veut enjoué :

- Au moins, je sais qu'il est heureux avec sa copine actuelle.

Je l'entends marmonner au bout du fil.

- Ne joue pas à ça avec moi, tu sais ce que je pense de Astrée et j'ai pas envie que tu fasses semblant d'être ravie pour lui alors que ça te fait de la peine.

Je reste silencieuse, observant Naya qui s'amuse avec un ours en peluche.

- Je parle plus vraiment aux gars en ce moment, ils me prennent la tête, continue-t-il. Ils ont tous l'air de trouver la situation normale alors que vraiment cette go je la sens pas. Ken il est chelou en ce moment. Et puis avec Doums qui me fait des reproches H24, je crois que je vais péter un câble.

- Viens me voir, proposé-je. Je suis sûre que Naya te manque.

- Absolument pas, tu sais que je déteste les enfants.

Je lève les yeux aux ciel.

- Mais bien sûr... Tout le monde sait que tu ferais tout pour ses beaux yeux.

Il rit avant de reprendre :

- Mais sérieusement Lou, ça m'embête que tu sois toute seule. J'ai pas mal de taff au stud' en ce moment, je verrai si je peux passer dans une semaine ou deux.

Nous échangeons encore quelques minutes avant de raccrocher. Son appel me réconforte un peu, même si je sens bien que je ne suis pas au top de ma forme. Je me ressasse les musiques de Ken, ses paroles.

C'est troublant ; si c'est pour saigner, à quoi sert d'être ouvert ?

Je m'étais souvent posée cette question, avant de le rencontrer. Il était ma première vraie relation. Avant lui, j'étais sortie avec un seul garçon : un mec qui m'avait fait espérer énormément de choses pour m'offrir très peu en retour. Avec Ken, ce n'était pas pareil. Je n'avais pas l'impression d'être utilisée plus qu'aimée. Je ne ressentais plus ce vide qui s'était agrandi dans mon cœur, au fil de temps. Notre relation avait évolué lentement, parce que j'avais peur de lui, de tout. Mais je n'ai jamais regretté de m'être ouverte à lui.

Maintenant, la seule chose qu'on a en commun c'est des potes.

C'est ce que je lui ai dit le soir de notre séparation. Parce qu'on ne se voyait presque plus, que je sentais qu'on s'éloignait toujours plus l'un de l'autre. A présent, même nos amis communs ont disparu. Ils sont restés les amis de Nekfeu.

Pour moi t'es rien

J'y pense sans arrêt. Parce que cette phrase courte, presque anodine, a un sens beaucoup plus profond pour moi. Et je ne peux m'empêcher de me demander à quel point il m'en voulait, au moment de son écriture. C'est moi qui l'ai quitté. J'ai mis fin à notre histoire. Je ne sais pas s'il s'y attendait ou non, mais je retiens ces quelques mots, qu'il m'a presque crachés au visage, avant de s'en aller : "Maintenant que t'as baisé avec Nekfeu, t'en as plus rien à foutre. Je me barre et je te jure qu'on se reverra plus jamais".

Une petite main se pose contre mon mollet, me tirant de mes réflexions. Je ramène Naya contre moi, sur le canapé, et observe son visage rond et souriant.

- Au moins, toi et moi on est ensemble, dis-je en lui embrassant les joues.

Le reste du weekend se passe relativement paisiblement. Mes parents sont heureux de nous voir débarquer le dimanche midi et leur compagnie apaise ma tristesse. Je sais qu'un jour, je devrai faire face à mes vieux démons, mais j'ai l'impression que c'est au-dessus de mes forces. Penser à Paris me donne la nausée, j'ai trop peur d'affronter l'Entourage. De l'affronter lui. Même si l'envie me démange, je décide de ne plus écouter l'album. C'est trop compliqué.

Le lundi matin, je dépose Naya à Houlgate avant de retrouver la librairie. La journée est chargée, un air de vacances flotte sur les côtes, cabourgeais et touristes se promènent et s'arrêtent à la boutique pour acheter des guides de randonnée et des lectures de plage. Je navigue entre les étagères, pleines à craquer de livres en tout genre et l'enthousiasme avec lequel je réponds aux demandes de mes clients me conforte sur une chose : je suis dans mon élément. Vers onze heures, je reçois un message de Gérald qui me prévient qu'il ne pourra pas venir m'aider ce soir. Ma fille me manque, j'ai hâte de la retrouver et de la prendre dans mes bras. J'essaye de me motiver pour l'heure restante de mon service. Les rues se vides peu à peu et je décide de commencer l'inventaire de ce début de semaine. Alors que j'ai le nez plongé dans un rayon de bibliothèque, une pile de livres dans les bras, j'entends sonner le carillon de la boutique. Je pense directement à Gérald, qui a dû revenir chercher les lunettes qu'il a sûrement égaré, une fois de plus, dans le magasin.

- Je ne pensais pas te voir aujourd'hui. Si tu cherches tes lunettes, elles sont probablement dans la réserve !

Seul le silence répond à mon exclamation. Intriguée, je fais quelques pas en direction de l'entrée. Ce n'est pas Gérald qui se tient près de la caisse, les mains dans les poches, mais le rappeur qui fait chavirer mon cœur depuis de nombreuses années. Lorsque je réalise qu'il est réellement là, en face de moi, je me pétrifie. Les quelques bouquins que je tenais contre moi tombent à mes pieds, mais je ne pense même pas à les ramasser. Il paraît fatigué et perdu. Ses yeux sont cernés, ses joues plus rondes qu'il y a un an et demi. Il porte une casquette noire, un sweatshirt et un jean. J'ai l'impression qu'il est le même qu'avant, mais en même temps, c'est comme si je ne le reconnaissais plus. Il m'observe, lui aussi. Son regard brun glisse sur mon corps, s'attarde sur mon visage.

- Ken...

C'est la seule chose que j'arrive à prononcer et ce simple mot sonne comme une supplique en s'échappant de mes lèvres. Parce que je ne comprends pas, que j'ai peur, que j'ai mal. Entendre ma voix semble le faire réagir : son expression se durcit.

- Je sais tout, Lou. C'est fini, les mensonges.

L'Embrun | NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant