La Morsure du Serpent

À nos Miroirs

Tout Poudlard ou presque croit, à tort, que la bibliothèque est la pièce la plus silencieuse de l'école.

Les Serpentard, cependant, sont mieux informés. Ils savent bien que, s'il y a un endroit où le silence est d'or, où s'éteignent les bruits et d'où la moindre perturbation est bannie, c'est leur salle commune.

Il n'en a pas toujours été ainsi, bien sûr. Auparavant elle était sans doute tout aussi pleine de vie que n'importe quelle autre pièce du château où les élèves se concentrent. Par auparavant, entendez avant Tom Jedusor.

Ah, Tom. Légende vivante dans ce château, parce qu'il est beau, attirant, d'une intelligence exceptionnelle, poli, sympathique, Préfet, et cependant discret, modeste, un garçon tellement parfait que c'en est parfois écœurant.

Tom, légende vivante chez les Serpentard, parce qu'il est puissant, cruel, manipulateur, autoritaire voire dominateur. Il est difficile de croire à l'existence d'un tel monstre, à moins de l'avoir vu de ses propres yeux. Curieux n'est-ce pas, comme les visions changent radicalement dès lors qu'on passe les portes closes ?

Voir de ses propres yeux... les Serpentard en ont fait l'expérience, ont vu, ont été forcés d'observer ce qui arrive lorsqu'on dérange le Préfet au sein de sa salle commune. Les malheureux n'ont jamais osé se plaindre par peur des représailles, se sont tus, et avec eux toute leur maison a fait silence.

Ce soir de 1945, comme tous les soirs depuis trois ans, la pièce sous les cachots est donc incroyablement, mystérieusement, horriblement calme. Envahie par les septième année, aussi, mais cela n'a rien d'étonnant - là où va Tom Jedusor, sa clique le suit, quand bien même il ne fait rien d'autre que lire ou se reposer. Les chevaliers de Walpurgis ont depuis longtemps appris que mettre en avant l'absurdité de certaines règles ne sert à rien d'autre que les faire punir. Ils ont courbé l'échine. Comme tous les autres.

Abraxas Malefoy, troisième de son nom, héritier d'une des plus puissantes familles de sorciers au monde, s'incline comme les autres, peut-être même avec plus de bonne volonté. Encore une preuve démontrant que le sang n'achète pas tout.

Il connait Tom depuis... non, pas toujours, et de plus personne ne peut se vanter de vraiment connaître Tom, reste que cela fait longtemps. Au premier jour de la première année déjà le brun s'était dirigé vers lui, lui avait rendu la main avec une lueur indéfinissable dans le regard qu'Abraxas avait pris pour de l'espoir, qui reflétait sans doute plus un intérêt purement calculateur. Jedusor avait sans doute vu dès le départ son port arrogant, la manière dont les autres Sang-Pur le respectaient ; il avait compris que s'allier à un Malefoy lui serait profitable pour gagner l'amitié de ceux qui comptaient. Jamais depuis ils ne se sont quittés. Ils ne sont pas amis - Tom n'a pas d'ami. Mais... Abraxas ne peut s'empêcher de se dire que, de tous ceux qui entourent le Préfet, il est celui qui a le droit à plus de considération.

Pourquoi ? Il n'a jamais réussi à exactement le savoir. Cette question, comme toutes celles qui se rapportent à Jedusor, le tourmente parfois. Souvent.

Presque machinalement, son regard se porte sur l'objet de ses pensées. Il ne peut s'empêcher de sourire à la vue de la forme affalée sur un fauteuil. Comment Tom parvient à rester élégant même dans les situations les plus banales ou grotesques, voilà encore un mystère qu'il a bien du mal à résoudre.