Le blizzard

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Foutue neige. Foutu vent. Foutu blizzard et, surtout, foutue Confrérie de merde ; avec ses examens à la con ; avec ses mystères et son culte du silence ; avec ses apprentis hautains pas foutus d'adapter leur rythme insoutenable ; avec sa magie impossible, capable de créer de toutes pièces une tempête de neige pour une simple épreuve pratique... Et surtout, foutu Confrérie et ses maudites capes soi-disant résistantes aux températures négatives, mais pas prévues pour contrer le vent.

Amalia avait tellement froid qu'elle ne sentait même plus ses dents claquer, ni sa mâchoire, ni sa bouche, ni son nez et encore moins ses doigts ou ses pieds. Tout autour d'elle n'était que hurlement de rafales et morsure du gel. Elle gardait les yeux fixés sur le bout de corde qui disparaissait dans le brouillard givrant, à un mètre devant elle, à peine. Le lien passé autour de sa taille constituait l'unique ligne de vie qui la rattachait au reste du groupe.

Un pas après l'autre, elle luttait contre l'air glacial de la banquise australe et se sentait tirée en avant par à-coup. Elle ralentissait tout le monde, mais elle n'aurait pas pu avancer plus vite. Âryni, Lucas, Valentin, Victoria et Usem se trouvaient loin en tête — ou plus près ? Elle n'y voyait rien avec ce blizzard — et devaient supporter cet enfer plus longtemps pour l'attendre. Amalia serra les poings, maudissant une fois de plus la Confrérie : lequel des Maîtres enseignants, par Merlin, avait bien pu se dire qu'envoyer des élèves affronter une tempête de neige sans équipement pouvait avoir un quelconque intérêt pédagogique ? !

Pour tenter de se rassurer, la jeune femme mobilisa avec prudence ses capacités empathiques : ce qu'elle ne pouvait discerner, elle pouvait l'éprouver par la magie. C'était un joker dont elle usait avec de parcimonie : il épuisait ses réserves d'énergie alors qu'elle en avait absolument besoin pour maintenir les charmes qui devaient garantir sa survie dans cet environnement hostile. Indistincts et imprécis, elle repéra quelques filaments de peur, d'angoisse et d'incrédulité. Difficile de localiser physiquement celui ou celle qui avait ressenti ces sentiments, mais elle se consola néanmoins : elle n'était pas la seule à s'inquiéter de leur situation. Une autre bribe, un peu plus loin, la laissa si perplexe qu'elle marcha quelques pas avant d'en identifier l'émotion : de l'exaltation, une puissante et sauvage impression de joie primaire. Surprise, Amalia trébucha et elle s'écroula dans la poudreuse. Elle sentit immédiatement trois petits coups donnés sur le lien pour lui signifier de presser l'allure. Si la sorcière avait encore pu crier, elle aurait hurlé sa colère d'être ainsi considérée comme un boulet à traîner, mais la température extérieure l'incitait à garder la moindre once de chaleur à l'intérieur de son corps. Sa simple respiration tirait à chaque instant sur ses réserves de magies qui s'efforçaient de conserver ses organes vitaux à 37∘C.

Elle se releva avec difficultés. La corde se tendit de nouveau. Au moins, elle était toujours reliée aux autres. L'idée qu'ils la détachent la terrifiait. Amalia déglutit, et se remit en mouvement, courbée contre le vent. Qui, dans le groupe, pouvait bien se sentir aussi bien dans cette situation insoutenable ? Et si l'auteur de la lettre anonyme de la semaine précédente se cachait parmi eux ? Il ou elle devait attendre la moindre occasion pour l'abandonner à son sort.

La jeune femme s'immobilisa lorsqu'une haute et large forme sombre émergea du blizzard pour lui barrer le passage. Une arche obstruée par un charme opaque que sa corde traversait. Amalia se dépêcha de l'y suivre.

À l'intérieur de ce qui s'avéra être un dôme de glace, elle retrouva les autres apprentis affairés à renforcer l'abri de fortune. Les maléfices de protection qu'ils avaient mis en place ne parvenaient pas à étouffer complètement le vacarme de la tempête. La structure du baraquement, constituée de blocs gelés et de neige, grinçait et laissait pleuvoir des filets de poudreuse sur les sorciers.

La Sorcière d'AonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant