Fin

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    Lonny avait renfilé ses affaires et avait rejoint Astrée dans sa chambre. Elle avait pris la place de Lonny et s'était enfoncée dans le creux qu'il avait fait dans les draps. Astrée l'invita à prendre place à ses côtés et il obtempéra. Ils regardèrent alors tous les deux le plafond.

ー Je ne l'avais encore jamais dit à personne, enfin, je veux dire personne de mon âge, ce qui m'est arrivé.
ー Je suis content que tu ais réussi à réellement te confier.

    Délicatement, Astrée se déplaça et vint caler sa tête contre l'épaule de Lonny. Sa main joignit son autre épaule et elle sera fort Lonny. Il sentit que des larmes coulaient jusqu'à son cou. Alors, il positionna une main dans son dos, l'autre sur son bras, lui rendant son étreinte.

ー Je suis désolée, sanglota-t-elle
ー Tu n'as pas besoin d'être désolée.

    Ils restèrent longtemps dans cette position, assez longtemps pour qu'Astrée arrête de pleurer. Ils s'assirent côte à côte, une fois qu'Astrée fut complètement calme.

ー On se fait une dernière partie d'Uno ?
ー Carrément !

    Elle sortit le jeu de cartes de son sac à dos qui ne contenait maintenant plus que tout ce qu'elle avait acheté à la supérette.
    Elle mélangea les cartes et les distribua.
    Lonny gagna les deux parties qu'ils firent. Sûrement un coup de chance ou bien le destin qui voulait faire peser la balance après toutes les défaites qu'il avait essuyé cette nuit.

    Mais le temps passait plus vite qu'il ne paressait.

ー Tu devrais partir avant que ma mère n'arrive.
ー D'accord.
ー Mais d'abord prend mon sac. Tu en auras beaucoup plus besoin que moi.
ー Merci.
ー Tu sais quoi ? Je vais te donner autre chose.

    Astrée se leva et prit une petite boite en bois foncé dans un tiroir et la tendit à Lonny.

ー C'est quoi ?
ー Tout mon argent de poche.
ー T'es folle ! Garde ton argent !
ー Non. J'ai envie de te le donner, et puis je n'en aurais pas l'utilité, je n'en ai jamais eu d'ailleurs.
ー Je ne sais pas quoi dire, merci en tout cas, dit-il d'un sourire gêné.

Décidé à partir, ils se relevèrent complètement, debout, face à face au pied du lit, Astrée tendit sa main à Lonny qui la regarda étrangement avant de la serrer.

ー Enchantée, je m'appelle Astrée Andersson, et toi ?
ー Je m'appelle Lonny Thompson, également enchanté, plaisanta-il.
ー Tu peut de nouveau savoir lire ! dit-elle en replaçant la gourmette dans le bon sens, révélant son prénom d'une jolie écriture italique.

Ils échangèrent un sourire, révélant de légères fossettes à Astrée que Lonny n'avait même pas remarqué.

ー Bon, j'imagine qu'il est temps pour moi de partir à l'aventure.
ー Lonny, visite le Louvre, j'ai toujours voulu y aller, mais je sais que jamais je ne pourrais y aller. Fait le, en mon hommage. Comme si je serais avec toi.
ー Promis, Astrée.

    C'est sur ces mots que Lonny Thompson s'abaissa pour passer par la fenêtre puis descendit l'échelle prudemment. En gage de son nouveau lui, à la dernière marche, il ne la passa pas comme toutes les autres, mais la sauta, atterrissant lourdement sur l'herbe, le sourire jusqu'aux oreilles.
    Il entendit Astrée refermer sa fenêtre, s'empêchant tout moyen de revenir en arrière. Lonny lui alla récupérer de nouveaux vêtements dans sa chambre et en profita pour laisser un mot sur son bureau :

   Je pars, cela ne sert à rien de me chercher, je ne reviendrai jamais. Lonny.

    Bref et efficace, il n'avait pas le temps de traîner, il s'impatientait de sauter dans le premier bus qu'il verrait, prenant une destination inconnue, tant qu'elle se trouvait loin d'ici.
    Il avait l'impression de respirer plus profondément. L'oxygène s'écoulait enfin dans son corps. Il avait une impression de renaissance. Un sourire ne le quittait plus. Dans la rue, il courait, criant parfois qu'il se sentait bien. Chacun de ses pas l'éloignait de ses parents, de sa maison, de son lycée, de toutes ses peurs. Plus jamais il ne laisserait quelqu'un lui faire du mal, plus jamais il se ferait frapper dans un coin. Plus jamais il n'entendra quelque chose se brisait en lui, que ce soit ses os ou n'importe quoi d'autres. Plus jamais. Il allait vivre comme il le voulait. Dorénavant, c'est lui qui tiendra les rênes.

    À l'arrêt de bus, il attendit longtemps. Il attendit jusqu'à six heures du matin. L'heure où les premiers bus passent. Il était dans le premier et avait demandé le terminus au chauffeur. Il s'était installé sur un siège contre la vitre. L'allée était vide, mais au fil des arrêts, le bus se remplit.
    Lonny fouilla dans le sac qu'Astrée lui avait donné et tomba sur un pull. Il sourit. Elle avait pris un pull de rechange. Il le sortit, il était jaune pâle avec une capuche. Lonny le déplia, il était sur-taillé et oversize. Alors, il le lit en boule et s'appuya dessus contre la vitre. Il le proclama comme son nouveau pull fétiche. Il observa la gourmette de son poignet et n'arrêta pas de sourire.

   Dans la chambre d'Astrée Andersson, la lumière brillait toujours, malgré l'heure du départ déjà pourtant dépassé. Il semblait que le réveil n'avait pas sonné. La valise était par terre. Sur son bureau, Astrée aussi avait laissé un mot :

   Vit pour moi. Je n'y arrive plus, alors, je t'en prie, porte l'un de mes autres fardeaux. Sois heureux. Astrée.

    C'était inanimée que s'étendait Astrée Andersson. Les yeux clos, avec quelques larmes séchées sur les coins. Elle portait le pull noir de Lonny.
    Elle fit la une des journaux. « Une adolescente se suicide dans le quartier paisible et familial de Worcester ». Tout le monde se demandait pourquoi, ils offrirent tous leurs condoléances à la famille Andersson. Les parents d'Astrée pleurèrent. Pourtant, tous les deux savaient. Pleuraient-ils pour le triste destin de leur fille ? Pleuraient-ils par culpabilité ? Pleuraient-ils pour le spectacle ?
    À son enterrement, les parents Thompson ne vinrent pas, coupables de leurs pensées que leur fils ait pu jouer un rôle dans sa mort. Ils ne s'imaginèrent même pas l'inverse, que leur fils pouvait être le dernier bâton qui la retenait d'une chute fatale.

    Il semblerait qu'il ne l'eu pas assez connu, il n'avait pas aperçu que les raisons d'Astrée de s'écrouler étaient plus pertinentes que celles de rester debout. Il avait été aveuglé par le sourire qu'elle lui avait offert, en plus de ses cadeaux d'adieu.

    Lonny était parti loin. Si loin, qu'il ne vit aucun article mentionnant le décès d'une Astrée Andersson. Elle n'avait pas besoin de lui demander, il vivait déjà pour elle. Un pourcentage de l'air qu'il respirait revenait à Astrée. Il était faible, ce pourcentage, mais il était présent et sincère.
    Les années passaient. Le temps ronge la mémoire. À l'âge de vingt ans, il visita le Louvre. Dans son sac, il avait toujours avec lui un pull jaune, même en été. La gourmette à son poignet n'avait pas bougé. Il vit sa vie. Comme Astrée lui avait demandé, il était heureux.
   Trouvant la capitale de la France jolie, il s'y installa.
    Comme il se l'était promis, il avait réussi à abandonner ses angoisses. Quelques fois, elles refaisaient surface, mais jamais cela ne durait plus d'une semaine.
    Le temps passe à une vitesse ! Lonny vivait paisiblement sa vie. Astrée vivait paisiblement sa mort. Sa tombe n'était pas fleurie. Peut-être que si Lonny savait tout, il repartirait pour y déposer des centaines de fleurs ? Sûrement. Mais il ne savait pas.

    Dans les rues de Paris, tout le mode le connaissait. Il rayonnait. C'est alors facilement qui rencontra quelqu'un. Il vit une vie classique. Une vie que certains rêvent, d'autres rien qu'à l'entente verraient leurs poils se hérisser de révulsion. Mais il était heureux. Toujours la gourmette à son poignet. Il lui valut beaucoup de questions, mais jamais il ne l'enleva. Cela lui permettait de ne pas l'oublier. C'était un rappel ambulant qu'il partageait son bonheur avec Astrée Andersson. À chaque fois qu'il regardait le bracelet, il souriait, cela ne loupait jamais. Il trimballait le pull à chaque moment où il avait besoin d'un minimum de chance, l'autre parti du temps, il était dans son lit, comme un doudou. Le chat violet et jaune colorié par Astrée ornait chaque frigo qu'il avait pu posséder.

    Plus tard, il aimait raconter à ses enfants que la première fille qu'il avait aimé s'appeler Astrée.

FIN

The Deranged Où les histoires vivent. Découvrez maintenant