Chapitre 1 - La forêt

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— Émilie ! Ramène ta poupée, pour qu'on joue ! criai-je à ma voisine par-dessus le grillage qui séparait nos jardins, me souciant à peine de réveiller tout le voisinage.

— D'accord ! fit-elle depuis sa terrasse, à une vingtaine de mètres de moi. J'arrive, bouge pas !

Le temps que mon amie me rejoigne, je m'adossai au mur de ma maison et laissai mes pensées dériver. Aujourd'hui, j'avais enfin dix ans, ce qui était vraiment super ! Mais j'avais quand même eu l'espoir naïf que mon père viendrait... même si je ne l'avais pas vu depuis mes quatre ans, à ce que racontait ma mère. Cela avait quelque chose de frustrant de s'accrocher à des rêves, surtout quand l'on savait parfaitement qu'ils ne deviendraient jamais réalité.

Je serrai les lèvres, agacée. Aujourd'hui, c'était ma journée, et je n'allais pas laisser une personne absente me la gâcher !

— Hé, Lucie ! Tu m'ouvres ? s'impatienta alors Émilie derrière le portail en fer blanc.

Je me dépêchai de la laisser entrer, un sourire étirant déjà mes lèvres.

— Joyeux anniversaire, au fait ! chantonna-t-elle.

Elle me tendit un paquet que j'ouvris sans plus tarder. C'était un gros roman ; un ouvrage de science-fiction comme j'en raffolais. Ils remettaient sans arrêt les valeurs de notre société en question et répondaient inconsciemment à ce que je demandais aux adultes de mon école. Eux me regardaient toujours en riant, car, apparemment, je réfléchissais trop et trop vite pour mon âge. Ce n'était pas de ma faute, pourtant : l'an dernier, on m'avait déclarée « HP », pour « Haut Potentiel ». Je détestais porter une étiquette m'attribuant les initiales d'Harry Potter ou d'Hôpital Psychiatrique quand on n'y ajoutait pas le « I » d'« Intellectuel », mais c'était comme ça.

— Le personnage principal s'appelle Elwen dedans, expliqua alors Émilie. Ça m'a fait penser à toi, comme c'est ton deuxième prénom.

— C'est super gentil de ta part, la remerciai-je en la serrant dans mes bras.

Je rentrai discrètement dans la maison et posai mon nouveau livre sur la table du salon sans un bruit pour ne pas réveiller ma mère qui dormait encore.

Je me hâtai ensuite de ressortir. On s'installa sur la table de la terrasse, puis on reprit nos poupées en plastique afin de poursuivre la partie qu'on avait commencé la veille –une histoire de dragons et de prétendants agaçants qui se faisaient dévorer par ceux-là.

— Dis, fit Émilie en me voyant retenir un bâillement. En quel honneur a-t-on décidé, l'an dernier, de se lever si tôt pour jouer ?

— Car on n'a pas nos parents sur le dos, m'amusai-je.
Un long silence s'ensuivit.

— Dommage qu'il n'y ait pas d'oiseaux, finis-je par soupirer en regardant le ciel désert. Ça fait deux semaines qu'ils ont disparu ! C'est beaucoup trop silencieux, sans eux.

— Moi, ce sont les lapins de la forêt qui me manquent, renchérit Émilie. Ils ne viennent plus sur ma terrasse le matin. Ça m'ennuie.

On regarda pensivement la forêt qui s'étalait au fond de mon jardin. Ses longs et épais arbres semblaient s'étirer vers le ciel, comme après un long sommeil, et recouvraient tout l'horizon d'une large bande colorée de différents tons de vert. Habituellement, des oiseaux survolaient constamment cette étendue verte, formant des petites taches sombres passant devant le soleil. Mais aujourd'hui, il n'y en avait plus aucun. Le vent ne soufflant pas non plus ce matin-là, la forêt était parfaitement immobile, imposante et silencieuse.

Un silence oppressant, à mon avis.

— Tu crois qu'il y a des lutins, là-bas ? demanda alors Émilie d'une voix enjouée, brisant temporairement le silence imposé par la forêt. Ou même juste des elfes ? Enfin, quelque chose de magique – qui serait gentil, bien sûr ?
Je comprenais son besoin de s'imaginer la forêt sous un bon profil. Maintenant qu'elle était dénuée de toute trace de vie, elle en devenait excessivement hostile et effrayante – maman m'avait expliqué cela, la veille, après que je lui ai encore posé une salve de questions. Je n'étais pas sûre d'avoir tout saisi mais j'avais tout de même retenu cela.

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