Chapitre 3

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Un coq chanta. Le soleil pénétrait par une fenêtre et venait frapper de ses rayons les visages des jeunes filles profondément endormies.
Un chat noir et blanc se glissa par la fenêtre entrouverte et rejoignit d'un bond le lit de Suzanne, la réveillant.
« Bonjour Yoyo, souffla la jeune femme de sa voix du matin »
La rouquine se redressa, s'étira puis parti chercher un poisson pour le matou affamé.
La rouquine se coiffa, s'habilla et glissa doucement sa broche achetée la veille dans ses longues mèches rousses.
A présent qu'elle était bien réveillée, Suzanne réalisa la situation délicate dans laquelle elle Louise se trouvait.
Bien qu'elles, en tant que femmes, n'est pas à rejoindre le front, sans plus aucun hommes pour aller boire un verre à la taverne, Louise ne pourra plus travailler. Et même si Suzanne, elle, pouvait encore exercer son travail de scribe elle ne gagnerait que très peu d'argent. Tout aller devenir plus rare et elle ne gagnerait jamais assez d'argent pour faire vivre deux personnes et un chat.
Suzanne secoua Louise, la blonde se réveilla en sursaut. Elle s'apprêtait à gronder son amie lorsqu'elle vit sa mine inquiète. Soudain, tous les évènements de la veille lui revenirent en un éclair et elle prit la même mine inquiète que sa camarade.
Après plusieurs minutes d'un pesant silence où seul le bruit de Yoyo terminant son poisson retentissait dans le petite pièce, Suzanne prit la parole.
« Qu'allons-nous faire ?
-    Je ne sais pas.
-    Comment allons-nous gagner notre vie ?
-    Je ne sais pas...
-    Comment ton père et ton frère vont-ils faire ?
-    Je ne sais pas.
-    Quelles seront les pertes ?
-    Je ne sais pas, Suzanne. »
La rouquine cessa son interrogatoire. Les jeunes femmes n'osaient pas se regarder dans les yeux, Suzanne eut beau scruter son amie elle ne vit qu'une enfant perdue dans un flot de mauvaises nouvelles.
La jeune rousse soupira.
« Bon, cela ne sert à rien de se morfondre ainsi. Habille toi, nous allons faire des courses. Avec l'appétit de ce chat, nous n'aurons bientôt plus de quoi le nourrir ! »
Yoyo se lécha les babines, comme pour approuver. Louise esquissa un sourire et hocha doucement la tête.

***

Suzanne qui espérait remonter le moral de son amie tomba de haut. Une ambiance pesante flottait dans les rues de la ville, elle qui était pourtant si joyeuse en temps normal.
Même les jeunes enfants ignorants et les animaux semblaient impactés par la guerre qui avait été annoncée la veille au matin. Le regards des deux jeunes femmes se portèrent sur un amas d'habitants qui semblaient obnubilés par un affichage placardé sur le mur d'un bâtiment.
Louise en fut étonnée mais Suzanne comprit aussitôt.
La rouquine attrapa vivement le bras de Louise et la tira vers la foule, Grâce à leurs petites tailles elles purent se faufiler sans trop de mal parmi les hommes agglutinés avec parfois leur femme accrochées à leur bras.
Une affiche été placardée au mur.

« Ordre de Mobilisation Général
Tout français soumis aux obligations militaires doit, sous peine d'être punis avec toutes les rigueurs des lois, obéir aux prescriptions du Fascicule de Mobilisation.
Toutes catins, scribes ou cuisinières sont également appelées a rejoindre les tavernes qui sont toutes réquisitionnées par l'état.
VIVE LA FRANCE ! »

Suzanne serra d'avantage le coude de Louise, celle-ci se secoua désespérément pour que son amie la lâche mais Suzanne ne semblait pas voir son amie, elle était fixée sur les mots devant elle.
Louise paniqua et leva la main avant de gifler violemment son amie, celle-ci finit par la lâcher.
Le bruit de la gifle n'échappa pas a la foule et tous tournèrent leur regard vers le duo, Louise partit en courant et sanglotant, suivit de près par Suzanne qui se rendait compte de ce qu'il venait de se passer.
Suzanne trouva son amie assise sur un trottoir, le regard fixé sur un chien endormi.
La rouquine s'assit prés de son amie et après avoir pris une grande inspiration, se lança.
« Je suis désolée Louise, J'étais fixée sur l'affiche, je n'avais pas remarqué que je te faisais mal. »
Louise lui lança un regard mauvais puis se repris rapidement, se n'était pas le moment et Suzanne semblait si désolée qu'il lui était impossible de lui en vouloir.
« Et qu'est ce qui t'a donc tant captivée dans cette affiche de mobilisation ? »
Louise vit les dents de son amies se serrer et sa mâchoire se tendre.
« La dernière phrase.
-    Vive la France ? s'étonna Louise
-    Celle juste avant, maugréa Suzanne. »
La jeune blonde eut beau réfléchir, elle ne se souvenait plus de cette phrase.
« Les scribes sont également réquisitionnés. »
Louise comprit aussitôt, Suzanne était scribe.
Sur le front, les soldats voudraient communiquer avec leur famille restée chez eux et les camps devraient pouvoir communiquer entre eux, les scribes étaient donc nécessaire. Et ce n'était pas parce que Suzanne était une femme qu'elle ne serait pas punie si elle ne se présentait pas à l'armée, bien au contraire.
Louise se rapprocha de son amie et lui attrapa affectueusement la main.
« Que vas-tu faire ? »
Suzanne lâcha un ricanement, Louise ne s'en vexa pas et serra d'avantage la main blanche de son amie.
« De toute façon je n'ai pas le choix, même si je ne me présentais pas au réquisitionnement ils sauraient que je suis scribe. Ce métier ne court pas les rues, ils ne laisseraient rien passer. La vraie question est plutôt celle-ci : Toi, que vas-tu faire ? »
Louise détourna le regard, ses mèches blondes cachaient son visage. Suzanne la fixait avec insistance, autant elle n'avait pas le choix autant son amie si.
« Je viens avec toi. »
Suzanne se leva précipitamment en secouant vivement la tête.
« Non certainement pas.
-    Je ne te laisserai pas partir sans moi. Insista Louise
-    Que tu peux être stupide ! Ils ne t'accepteraient pas, tu ne leur serais d'aucune utilité.
-    Ils n'auront pas le choix et puis je peux être convaincante quand je veux ! Je suis danseuse et chanteuse, ils ne me refuseraient pas !
-    Dis tout de suite que tu te feras passer pour une catin ! s'agaça la rouquine, criant presque sur son amie. Et encore ! imaginons qu'ils t'acceptent et t'emploient comme trainée, ce n'est pas parce que nous n'irons pas au front que l'on ne risquera rien.
-    Et bien nous prendrons le risque ensemble. Continua Louise, bien plus calme que sa camarade. Tu ne me feras pas changer d'avis. »
Les yeux châtains de Suzanne s'écarquillèrent, elle savait que Louise était conciliante, mais lorsqu'elle avait décidé de quelques chose, elle ne pourrait pas la faire changer d'avis.
« Plutôt mourir que de te quitter, Suzanne. Murmura doucement Louise en voyant l'air attristée de son amie. »
Suzanne lui offrit un pauvre sourire et la prit dans ses bras.
« Moi aussi, Louise, Je ne veux pas te quitter. J'ai peur pour toi.
-    Ne te fais pas de mourons, nous nous en sortirons. Ensemble. »
La rouquine scruta son amie avant de pouffer de rire.
« Que l'on parait ridicule ! »
Louise la rejoignit dans son rire et les deux femmes rirent de bon cœur.
Suzanne s'arrêta brusquement de rire et demanda :
« Et Yoyo ? Qui le nourrira ?
-    C'est un chat, il chassera de quoi manger. Quoi qu'il en soit, bientôt il n'y aura plus de poissons.
-    Et plus de poissonnier également ! Rajouta la rouquine, un sourire au lèvre »
Les deux jeunes femmes s'éloignèrent, bras dessus bras dessous, de leur lieu de discorde.
« Direction : une taverne pour le réquisitionnement, dans ce cas. Souffla Suzanne, résignée. »

***
Suzanne et Louise étaient dans la taverne dans laquelle, la veille, elles s'amusaient ignorantes de la menace pesant sur elles.
Devant elles, une longue file d'hommes avec au bout, d'autres hommes, assis a des bureaux, qui leur faisait passer différents examens pour évaluer leurs capacités physiques. Les hommes qui patientaient étaient parfois jeunes et souriants ou bien accomplis et attristés de quitter leur famille. D'autres semblaient complétement extérieur a une quelconque émotion, ceux là portaient des cicatrice et un regard vide qui prouvaient de leur expérience passée.
Et au milieu de cette foule, deux jeunes femmes, perdues et terrifiées.
A quelques mètres de là, un groupe de jeunes hommes pouffèrent en regardant les deux amies, visiblement très amusés par leur présence.
« Ces mufles s'imaginent certainement que nous sommes des catins. Grinça Suzanne en leur jetant un regard noir. »
Louise hocha la tête puis frôla doucement la main de son amie afin de la calmer, ce n'était pas le moment de s'attirer des ennuis.
Leur tour arriva.
L'homme devant elles avait des cheveux noirs blanchis par l'âge ainsi qu'une grande moustache, il semblait avoir la cinquantaine et avait un regard neutre, rien ne semblait pouvoir le perturber. Et pourtant, l'arrivée de deux jeunes femmes dans la vingtaine lui firent hausser les sourcils.
Il s'inclina vers les jeunes femmes.
« Salutations Mesdemoiselles, que venez-vous faire ici ? »
Suzanne allait parler mais Louise lui marcha sur le pied avec son talon, la rouquine retint un gémissement de douleur et lui lança un regard mauvais. Hors de question de la laisser faire une maladresse.
« Bonjour Monsieur, mon amie ici présente est scribe.
-    Bien. Et vous ? susurra l'homme »
Louise pris une grande inspiration.
« Et bien, je ne suis ni scribe, putain ou cuisinière, cependant je veux y aller avec mon amie et je suis danseuse et chanteuse, je peux divertir les soldats. Je suis également plutôt douée en cuisine et je peux effectuer différentes tâches que les soldats n'ont pas de temps a perdre en les faisant. »
La femme blonde reprit son souffle, elle avait sortie cela d'une traite en bégayant et espérait que l'homme n'opposerait pas de résistance a l'idée de l'inclure dans l'armée. L'homme, justement, la toisait et semblait réfléchir intensément.
Il fit signe a son confrère à coté et ils discutèrent a voix basse quelques instants, après ca l'homme se tourna vers les deux amis et répondit :
« Très bien. Vous serez affecté a la troupe du Major Austin, troupe qui appartient elle-même a la compagnie du Capitaine de Bavière.
-    D'accord, merci Monsieur. Soupira Louise, soulagée.
-    Vous n'avez pas besoin de passer d'examens physiques, mais je vous demanderais d'être honnête : avez-vous des problèmes de santé, mineures ou majeures, qui pourraient entraver votre service à la nation ? Avez-vous du mal à gérer vos menstruations ?
-    Euh eh bien non, Balbutia Suzanne, j'ai simplement une cicatrice a la main droite qui me lance parfois mais cela passe rapidement.
-    Très bien. Vous irez dans la pièce d'a côté, on vous fournira vos tenues. Vous êtes enregistrées et vous devrez vous présenter demain à la première heure sur la place du village sous peine d'être largement punies.
-    D'accord, merci, au revoir. »
Les deux femmes s'éloignèrent, soulagées.
Et quelle drôle d'idée d'être soulagée a un tel instant, elles avaient été acceptées certes mais ce ne serait pas une colonie de vacances, rien ne leur garantissait qu'elle s'en sortirait. Et même si elles s'en sortaient indemnes par quelconque miracle que ce soit, les deux femmes avaient déjà vus des vétérans de guerres et ceux-ci semblait avoir perdu une part d'eux même.
Enfin, elles en étaient bien conscientes mais à l'instant présent seul le fait de ne pas se quitter leur importait.
Suzanne avait tout de même une mine bien moins anxieuse que Louise, c'était une des qualités de la rouquine selon nombre de personnes qu'elle côtoyait. Elle n'était pas inquiète et ne se posait pas de question sur la suite, seul le présent comptait.
Louise, elle, se mordait la lèvre d'angoisse. Elle n'arrivait pas a s'arrêter de réfléchir, penser au déroulement, ce qu'il allait se passer, se faire des scenarios sur la suite, tous plus catastrophiques les uns que les autres. Elle s'inquiétait également pour son frère, son père et également sa mère. Bref, une boule de stress qui flottait au-dessus de sa tête, mais que Suzanne sut faire disparaitre.

« Tu penses que je pourrais garder ma broche !? s'exclama la rouquine d'une mine inquiète »
Louise la regarda, sa broche dorée ornée d'une magnifique rose semblait sublimée par les magnifiques mèches rousses de la jeune femme.
« Je l'espère, en tout cas. Souffla Louise en esquissant un sourire »

Il fait froidWhere stories live. Discover now