Chapitre 4

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Chapitre 4 –
Le village n'avait jamais semblé aussi agité et lent en même temps. Dans tous les coins de rues, des couples s'enlaçaient en larmes, des enfants hurlaient en voyant partir leur père dans les calèches réquisitionnées . Certains préféraient monter dans les véhicules le plus rapidement possible et d'autres s'attardaient, n'arrivant pas à quitter leur famille et leur foyer sans avoir la certitude de les retrouver.
Et dans cette bousculade, Suzanne et Louise étaient perdues dans un flot d'informations.
Que faire ? Où aller ?
Suzanne, pourtant si insouciante à l'accoutumée, se rongeait les sangs. D'un coup, elle sursauta et décrocha sa broche rose de sa chevelure et la fourra discrètement dans la doublure de sa robe.
Louise retint un rire avant de détourner rapidement le regard, finalement pas plus rassurée que son amie.
« Tu t'inquiètes pour ta famille ? souffla doucement Suzanne, faisant sursauter la blonde
-    Oui. Oui bien sûr.
-    J'écrirais une lettre pour toi afin de leur demander des nouvelles.
-    Merci Suzanne. Tu penses qu'ils répondront?
-    Mesdemoiselles ? »
La voix masculine et inconnue fit sursauter les deux jeunes femmes, elle se retournèrent vivement et se retrouvèrent face à un grand homme aux cheveux châtains. Le jeune homme posa sur les jeunes femmes un regard rassurant en esquissant un sourire.
« Navrée de vous avoir effrayée mes chères ! Je suis là pour vous mener jusqu'à votre véhicule afin que vous rejoignez votre camp en toute sécurité. »
Les jeunes femmes furent ahuries par l'exceptionnel galanterie du jeune homme.
Voyant l'air étonné des deux amies, l'homme expliqua :
« Je me nomme Médéric, je dois vous mener à votre coche.
-Notre coche ? Nous avons notre propre coche ?
- Vous êtes les seules demoiselles de la brigade du Capitaine de Bavière et donc du régiment du Major Austin. Vous voyagerez donc jusqu'au camp dans une calèche avec uniquement moi et un autre camarade de confiance pour vous protéger. »
Louise déglutit péniblement, étaient-elles en danger avant même d'arriver au baraquement ?
Elles suivirent Médéric jusqu'à leur calèche dans lequel un autre homme un peu plus âgé les attendait en bougonnant.
Ça commence bien, songea ironiquement Suzanne en voyant le regard noir de l'homme
« Voici Jason, mon camarade qui fera ce voyage avec nous. »
Jason fixa les jeunes femmes sans une once de sympathie, ses yeux pourtant d'un beau bleu glaça les deux camarades qui se contentèrent d'hocher la tête comme salutation.
L'homme haussa un sourcil en dévisageant les femmes face à lui puis se détourna dans un soupir désespéré.
« C'est donc lui le camarade de confiance ? murmura Suzanne, exaspérée par le comportement hautain de Jason. »
Louise esquissa un sourire discret.

***
Le paysage défilait derrière la vitre, les yeux noisettes de Suzanne étaient rivés sur les arbres flous. Les chevaux courraient encore plus rapidement que Yoyo ne gobait son poisson.
Suzanne tapotait nerveusement ses cuisses en croisant et décroisant les jambes.
« Hum, et donc ? tenta Suzanne d'une manière plus brusque que prévu »
Ses trois compagnons de voyage se tournèrent vers elle, Médéric et Louise la regardait étonnés. Quant à Jason, Il souleva un sourcil et lança d'un air narquois :
« Oui mademoiselle ? quelque chose à dire ?
-    Euh non j'aimerais simplement savoir où nous allons, comment vas se dérouler la suite. Balbutia la rouquine en se triturant les mains. »
Jason décroisa ses jambes et avança son visage prés de celui de la jeune femme, une expression moqueuse accrochée à ses traits.
« Et croyez-vous donc, ma chère que nous somme d'avantage au courant ?
-    Je ne prétends pas cela ! s'écria Suzanne, déboussolée
-    Jason, arrête de faire peur à notre camarade de voyage. Ordonna Médéric d'une voix plus qu'autoritaire. »
Jason se rassit correctement et éclata d'un rire railleur.
« Nos camarades de voyage ? La bonne blague, nos camarades de guerre oui ! Je me demande bien qui de nous quatre survivra ! Le Major est d'une royale stupidité pour autoriser deux femmes faiblardes dans son régiment ! »
Médéric ne contredit pas son camarade.
« Ravie d'avoir pu entendre votre tirade, signala Louise. A présent, sachez que nous ne sommes pas plus ravies que vous de nous retrouver ici. Alors je vous demanderai de prendre en considération ce point et de faciliter notre voyage, nous nous passerons aisément de votre air moqueur. »
Louise fut ravie de voir que son monologue avait clouer le bec de l'homme, se laisser faire, et puis quoi encore ?
Jason poussa un soupir avant d'attraper un couteau qu'il se mit à aiguiser minutieusement.
Suzanne glissa sa main pâle dans celle de Louise en guise de remerciement pour avoir pris sa défense.
Le reste du voyage se passa sans encombre cependant Suzanne ne tenta plus de poser la moindre question.
Les chevaux finirent par s'arrêter et les jeunes femmes sortirent précipitamment, que cela faisait du bien d'étirer leurs jambes engourdies !
Elles déposèrent un regard méfiants autour d'elle.
Aucune autre coche.
Louise haussa les épaules, elle n'aimait pas la foule, tant mieux s'il n'en y avait pas.
Médéric s'approcha des jeunes femmes, un gros sac sur l'épaule.
« Selon mes informations, le Major Austin devrait venir nous chercher pour nous conduire jusqu'au camp principal. »
Louise soupira, c'était évident que le brun simplifiait les choses, cela avait le don d'agacer la jeune femme. Pourtant, tout semblait déjà si flou, si l'homme décrivait l'organisation d'avantage, les deux femmes seraient perdues.
Jason s'assit au sol, son couteau toujours en main qu'il utilisait à présent pour se curer les ongles, Médéric s'assit à ses côtés et lança le gros sac au pied des jeunes femmes.
« Là-dedans il y a vos uniformes. Des robes plus courtes et discrètes, arrivées au camp vous pourrez vous changer. Vous aurez votre propre tente, ajouta l'homme en voyant la mine horrifiée des deux amies. »
Suzanne le remercia d'un hochement de tête et s'assit sur le sac, imitée par sa camarade.
La rouquine glissa discrètement sa main dans la doublure de sa robe et attrapa sa broche, le quartz scintilla au soleil, Louise la lui arracha et la fourra rapidement dans le sac, hors de question qu'elle leur soit prise.
Quelques minutes plus tard, une silhouette apparut au loin, se rapprochant d'avantage de minute en minute vers le petit groupe.
Un homme seul, le Major Austin.
Les hommes se levèrent et saluèrent le Major, imités maladroitement par les jeunes femmes.
L'homme pouffa, amusé par la révérence maladroite des amies, puis il se reprit.
Ses yeux ambrés se dirigèrent vers Jason et Médéric.
« Merci messieurs d'avoir conduit nos invitées jusqu'ici, elles semblent en parfaite santé ! »
Médéric hocha la tête avec respect tandis que Jason se contenta d'une grimace.
Le grand homme se tourna mers les jeunes femmes tremblantes, intimidées par sa carrure.
« Bonjour très chères, Je suis le Major Austin. Je suis responsable de vous et je ne faillirai pas à ma tâche ! Et vous ? Quels prénoms de si jolies femmes peuvent elle avoir ?
-    Je suis Suzanne, souffla la rousse en rougissant.
-    Et moi, Louise. Enchaina la blonde.
-    Ravie de faire votre connaissance, Suzanne, Louise. Souffla l'homme en leur faisant un baise-main à chacune. »
L'homme attrapa le sac des demoiselles et ouvrit le chemin, suivit de près par les demoiselles en questions. Les deux autres hommes fermaient la marche.
« Je suis ravie de pouvoir vous accueillir dans mon régiment, Suzanne, Louise. Sachez que vous êtes les seules femmes de la brigade du Capitaine de Bavière, et vous faites partie de MON régiment ! clama le Major, tout sourire.
-    Merci pour cette accueil, Major.
-    J'ai cru comprendre que vous étiez scribe ma chère, Lança l'homme, Vos services seront très utiles ! Mes hommes seront ravis de pouvoir communiquer avec leur famille, il en ont bien besoin !
-    Ravie de pouvoir être utile, souffla Suzanne.
-    Quant à vous, ajouta il en se tournant vers Louise, vous êtes danseuse n'est-ce pas ?
-    Absolument. Danseuse et chanteuse, mon métier n'est guère aussi avantageux que celui de ma camarade mais j'espère pouvoir être utile malgré tout.
-    Bien au contraire, très chère ! contredit l'homme aux cheveux de jais. Vous serez une délicieuse distraction pour mes hommes ! »
Louise déglutit, loin d'être rassurée par les propos de l'homme qui se voulait pourtant apaisant.
Après près d'une heure de marche sur les chemins de forêt à batailler contre les ronces et les innombrables bestioles qui peuplaient le bois, le petit groupe commença à entendre des discussions véhémentes, ils arrivaient près du baraquement.
Les deux femmes avaient mal aux pieds, elles se sentaient trop serrées dans leur bottines et n'espéraient qu'une chose : que leur uniforme comporte des bottes plus confortables.
« Vous avez été assignés à mon régiment je me dois donc de vous le présenter, nous sommes cachés dans la forêt car nous n'avons pas encore réunis tout l'armement nécessaire et que nous sommes chargés de l'organisation et la stratégie de la brigade du Capitaine. J'ai plusieurs officiers à mon service qui sont responsable de la stratégie afin de surprendre l'ennemi et de transmettre leurs réflexions au Capitaine de Bavière, écrire ces courriers sera votre mission Suzanne. Nous sommes également pourvu d'un groupe d'infirmiers, étant le régiment le plus reculé nous accueillons les blessés graves. Nous n'avons que peu de soldats en comparaison aux autres régiments, il ne sont qu'un millier. Ils n'iront pas au front, du moins pas maintenant. Les divertir sera votre occupation principale Louise. »
Les deux camarades étaient submergées par ce flot d'information mélangées, leurs jambes tremblaient.
« Ne vous inquiétait pas, chuchota Médéric en les rejoignant, il n'est pas très doué pour expliquer. »
Le Major lui lança un regard noir. Suzanne soupira.
« Je pense que même s'il expliquait parfaitement la situation, nous ne comprendrions pas mieux... »
Le regard du Major Austin s'adoucit et il offrit un clin d'œil charmeur à la rouquine.
« J'ai à faire, enchaina le bel homme, Médéric vient avec moi. Jason je te laisse montrer leur tente à nos chères amies. »
Jason haussa un sourcil en grognant, Médéric lui écrasa le pied de toute sa force avant de suivre le Major Austin.
Jason lui lança toute la foudre dont il était capable de son seul regard, avant de partir vers le centre du camp comme une balle.
Les deux jeunes femmes le talonnèrent, trottinant derrière l'homme.
« Méfiez vous du Major. Gronda Jason avant de se muter de nouveau dans son silence. »
Quel jaloux celui-là, ne put s'empêcher de songer Suzanne.
Louise n'y préta pas attention, une question de la plus haute importance lui brulait les lèvres.
« Ya il du thé ici ? »
Jason explosa d'un rire sonore, Louise fit la moue, humiliée. Son précieux thé et ses deux sucres dilués dans l'eau chaude parfumée lui manquait terriblement.
Le trio arriva devant une petite tente, placée au centre du baraquement.
Jason, toujours exempt de galanterie, planta les deux amies ici en leur lançant en s'éloignant :
« Changez-vous. Un repas vous attend dans votre tente. Un camarade viendra vous chercher. »
Les deux amies s'exécutèrent, leur robes étaient plus courtes et légères, simplement pourvues de dentelle blanche en signe de féminité. De grandes bottes et de larges chaussettes se rajoutaient à leur tenue. Suzanne attrapa un fourreau discret qu'elle accrocha a sa cuisse puis y appenda sa broche.
Louise, peu habituée par des vêtements si courts ne se sentaient guère à l'aise et tentaient tant bien que mal de cacher ses mollets en remontant ses chaussettes au plus haut.
Puis les deux femmes s'assirent sur leurs lit de camps d'un confort moindre, elles attendirent ainsi, dans le froid et l'obscurité de leur guitoune.
Un brouhaha retentissait autour d'elles, de plus en plus fort. Les soldats semblaient se réunirent pour le déjeuner.
Les deux camarades ne parlaient pas, d'ailleurs elles n'avaient pas eu d'échange en tête à tête depuis le matin.
Les jeunes femmes étaient perdues, elles n'avaient bien sûr jamais été confrontées à la guerre et malgré les explications, pour ainsi dire hasardeuse, du Major, les deux amies n'étaient pas plus avancées.
Pour le moment, elle se laissaient porter par le courant, les explications et les hommes qui les aidaient et aucune des deux femmes n'étaient à l'aise avec la situation.
Les deux jeunes femmes tressaillirent lorsque un tête se glissa dans l'entrebâillement de leur tente, un jeune homme aux cheveux en bataille entra timidement.
« J'ai reçu l'ordre de vous conduire jusqu'au grand chapiteau de rassemblement.
-    Nous vous suivons, Répondit Louise, un sourire accroché aux lèvres. Amusée par la timidité du jeune garçon. Quel est votre nom ?
-    Léonard, bafouilla le garçon, Suivez-moi »
Le trio, dirigé par Léonard, se rendit vers une grande tente dans laquelle tous les soldats semblaient s'être regroupés. La cacophonie emplissant le chapiteau s'atténua à l'entrée du trio, tous les regards étaient dirigés vers les deux femmes, les seules du régiment.
Le Major Austin les attendait prés de l'entrée, il congédia Léonard d'un hochement de tête avant de se baisser vers les deux amies, leur susurrant :
« Ce soir, vous n'avez aucun compte à rendre, amusez-vous. Le travail commence demain. »
Après cette annonce, le Major se fondit dans la foule et les deux amis ne revirent pas ses yeux perçants de la soirée.
La gêne se dissipa, les soldats étaient souriants, chantants et alcoolisés. Complétement inconscient, et probablement heureux de l'être, de la situation dans laquelle il se trouvait. Ou peut être était il bien conscients mais profitez de leur soirée, et furent rapidement rejoints par Suzanne et Louise, ravis de retrouver l'ambiance des tavernes.
Les hommes frappaient en rythme sur des tonneaux, certains dansaient bras dessus bras dessous avec leurs camarades.
Suzanne ne tarda pas à les rejoindre, emportée par l'ambiance fêtarde. Elle passait de bras en bras, dansant sur les tables et frappant des mains, les hommes l'acclamait.
Louise ne put résister bien longtemps et rejoignit son amie, Leurs bottes en cuir claquaient sur les tonneaux, leurs mains donnaient le rythme et leurs voix chantaient la mélodie. Les volants de leurs robes volaient autour d'elle pour le plaisir de quelques badauds.
Elles dansèrent jusqu'à pas d'heures, sautant par-dessus les endormis, se tenant main dans la main.
Leur chant résonnait sous la tente et rapidement il se transforma en une douce berceuse qui ankylosa les derniers débauchés.
Les deux amis sortirent et s'installèrent sous les étoiles, épuisées, des gouttes de sueurs luisaient sur leurs épaules et leur visage.
Un immense nuage vint cacher la lune et ses petites sœurs.
Suzanne s'en amusa et un petit rire scintillant lui échappa.
« Les nuits noires font les plus belles histoires. »

Il fait froidWhere stories live. Discover now