Chapitre 2 - Prête-moi ta peau

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› Lui | @alam-al-mithal

Le poids de la lourde porte de l'édifice ralentit mon agacement qui se traduit par des gestes abrupts. Chaque mois, je pense ressortir de cet immeuble avec un fardeau en moins, pourtant, mes chaînes sont toujours scellées autour de mon corps, m'empêchant de pouvoir vivre en toute sérénité. Je ne peux plus continuer à exister de cette manière ; aucun endroit dans le monde ne peut me permettre d'harmoniser mon âme et ma chair. Je me sens comme un naufragé au milieu d'une bande de requins, attendant patiemment le bon moment pour me dévorer sans laisser de miettes.

Même à l'intérieur de mon appartement, il est impossible pour moi de ne pas me haïr. À cet instant, je voudrais m'immoler par le feu, tomber dans le vide et arrêter de me faire une comparaison avec chaque passant que je croise. Je les envie, tout comme je ne peux m'empêcher de traîner sur les réseaux sociaux en rentrant chez moi et me comparer à tous les corps qui défilent sur mon écran. Ce soir encore, je me retrouverais face à mon miroir, prêt à régurgiter le dégoût de cette apparence qui m'est insupportable.

« Vous êtes trop anxieux, prenez votre temps pour bien y réfléchir. »

— Je le déteste.

Qui peut me dire si je suis dans le bon contexte de ma vie quand moi-même je n'ai aucune idée de ce que je veux faire de toutes ces années qui m'attendent ? La vie est remplie d'une multitude de stades, tous plus difficiles à surmonter les uns que les autres. Alors, pourquoi tenter de détruire la seule et unique certitude que j'ai depuis mon enfance ? Cette histoire ne règle pas le manque de confiance en moi, elle est même en chute libre.

Un soupir s'échappe de mes lèvres lorsque je m'arrête au passage piéton, le feu annonce la couleur rouge. Mes doigts se serrent autour des anses de mon sac à dos, je soliloque à voix basse, l'air contrarié :

— Comment veut-il que je ne sois pas anxieux après treize séances sans aucun résultat ?

Ma cage thoracique ne se remplit plus d'oxygène, mais d'une injustice qui me ronge depuis des années. Je ne peux empêcher mon regard de discrètement se poser sur l'homme à mes côtés et scrute son torse plat à travers son tee-shirt, ses biceps ont de belles formes et sa pomme d'Adam est de toute beauté. Je me sens comme un voyeur et détourne automatiquement les yeux.

Je continue de traverser la ville en évitant les regards que je croise. Il n'y a qu'une chose qui peut me remonter le moral à cet instant précis : une jolie librairie. Si certains trouvent réconfort dans la nourriture, le sport ou tout autre substitut au bonheur, moi, je dévore des histoires dans lesquelles je peux être une personne différente. Seulement, je suis de l'autre côté de la ville et, à l'exception du cabinet de mon psychiatre, je ne connais pas bien l'endroit.

Je m'arrête un instant afin de consulter mon téléphone et fais une recherche en ce qui concerne les librairies du coin. Adossé au mur, je prends mon temps pour choisir celle qui répondra à mes besoins spécifiques, parce que oui, je suis indéniablement un grand fan du monde du manga. Et ça, même si j'ai passé la plus grande partie de ma vie à dormir avec des romans de toutes sortes comme des doudous au lieu de peluches.

Je baisse le casque sur mes oreilles en le faisant glisser autour de mon cou, de façon à pouvoir me concentrer sur mes projets. Je suis dans une ruelle plutôt tranquille, le moteur des voitures ne résonne pas et soulage mes tympans. Ici, tout est serein, du moins, jusqu'à ce que je sois pris d'un sursaut après une porte qui se claque et des cris échangés dans le vide. Je relève automatiquement le nez de mon portable et reste figé sur l'homme qui s'en va. Mais ce qui me percute vraiment, c'est cette jeune femme qui me semble désemparée.

Des larmes ruissellent le long de ses joues et je me sens soudainement inapte à pouvoir lui venir en aide, impuissant. Un frisson me traverse lorsqu'elle me repère, pris la main dans le sac.

Je ne suis vraiment qu'un voyeur, alors ?

Sa voix se brise. L'intensité de celle-ci est si pleine de rage que je me mets à fuir en regagnant ma route, comme un coup de pied au cul qu'on vient de m'envoyer pour me jeter dehors. Au final, je ne suis pas le plus à plaindre, il y a des personnes dans ce monde qui vivent des jours plus tristes que les miens.

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