Edmond

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Quand Léonore me demande pourquoi elle m'intimide, je n'ose pas lui répondre que c'est en partie parce que je la trouve particulièrement plaisante à regarder. Ce serait banal, balourd et cliché. La deuxième raison me parait plus acceptable. Il faut admettre que le binôme inséparable qu'elle forme avec Hiroko parait tout à fait inaccessible, vivant dans une dimension différente de la nôtre, loin de toutes les préoccupations de l'ado commun.

— Je sais pas... Peut-être parce que tu n'as qu'une seul pote, ça veut dire que tu es très sélective.

— Où que je suis particulièrement pénible à supporter.

— Pourquoi pas. On verra.

Je me retiens de mettre la main devant la bouche, c'est sorti tout seul. Elle se lève. Son silence et son œil mystérieux ont quelque chose d'un accord tacite. Elle me laisse libre de rester en sa compagnie. Je préfère la laisser tranquille, pas dans un esprit de gentleman, seulement pour mettre toutes les chances de mon côté, quoiqu'en soit le jeu.

Je finis ma crème au chocolat faisant glisser plus facilement les pâtes infâmes de ce midi et la regarde s'éloigner avec cette impression amusée qui nait au fond de moi. Je souris malgré moi quant à notre discussion sans queue ni tête.


Rentrée, jour deux, je reprends mes routines de lycéen. Annie, la gouvernante, frappe discrètement à ma porte pour me réveiller, et en bas m'attend un copieux petit-déjeuner qu'elle m'a préparé. Je fais honneur à son assiette joliment présentée, tandis qu'elle astique quelques recoins du plan de travail.

— Annie, quand est-ce que tu as rencontré ton mari ?

Annie est mon journal intime depuis que je suis petit. J'ai pris l'habitude de lui raconter tout ce qui me venait à l'esprit et l'abasourdir d'une infinité de questions. Ce n'est pas ma mère, mais c'est elle qui m'a appris la vie.

— Tu sais mon agneau, à l'époque où je me suis mariée, on ne choisissait pas son homme. J'ai été attribué par mon père à celui qu'il considérait assez correct pour entrer dans la famille.

— C'est horrible...

— À l'époque, on ne le voyait pas comme ça. Si, certaine, j'imagine, sinon ça n'aurait jamais changé.

— Tu l'aimais quand même ?

— Je n'avais pas vraiment le choix, mon agneau. Mais j'ai appris à l'aimer, j'ai eu de la chance, c'était un gentil garçon.

— Et lui il t'aimait ?

— Il s'est occupé de moi.

— Ce n'est pas ma question.

— Au début, oui, il m'aimait. Par la suite, je pense que nous étions simplement de bons amis.

— Pourquoi ne pas avoir divorcé ?

Annie pose sa dernière assiette et me regarde, ses yeux plissés par les rides d'un sourire.

— Qu'est ce qu'il t'arrive aujourd'hui, mon canard ?

— Rien. Je me demande simplement si c'est possible d'aimer qu'une seule personne dans sa vie.

Ados modernesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant