Chapitre 23

13.3K 1.3K 17
                                    

La plus jeune s'est interposée entre moi et mon retour. Melanie s'est postée à côté de moi.
-Ôtez-vous de mon chemin, a-t-elle dit à la fille d'un ton posé.
-Mais tu ne veux pas retourner à la civilisation ? a demandé la femme en écartant les bras.
-Pas si elle a accepté de nous foutre ici en premier lieu, ai-je rétorqué à la place de Melanie.
Me devançant, Melanie a ouvert la marche à ma place et bousculé durement la femme, lui faisant perdre l'équilibre. Elle était probablement aussi furieuse que moi, et ne s'est même pas excusée.
Le reste du comité, c'est-à-dire, Esther, Ethan et Graham nous ont suivi. Aucun d'entre nous n'a eu un dernier regard pour le trio hétéroclite. En venant ici, je pensais poser des questions du style "Pourquoi faire ça ? Et pourquoi nous ?". Mais maintenant je me rendais compte que je m'en balançais complètement, de leurs raisons et de leurs motivations. Ils avaient fait une connerie, des gens en avaient souffert, d'autres étaient morts, et l'autre débile, Gamble, ne semblait même pas au courant.
C'était une belle tripotée de richards inconscients, tiens. Si je revois un seul d'entre eux, je laisse Graham et compagnie s'en occuper. On marche quelques minutes en silence, probablement en ressassant les derniers événements, jusqu'à ce que Melanie élève la voix :
-Au fait, je lui ai volé son téléphone, a-t-elle annoncé.
-T'es pickpocket, maintenant ? lui a demandé Esther.
-C'est triste à dire, mais quand on veut être artiste, il faut prévoir d'autres possibilités de carrières, a répondu Melanie, soudain plus sombre.
Elle m'a ensuite tendu le téléphone.
-Y a un code, ai-je remarqué.
-Pas pour les numéros d'urgence, a fait Graham d'un ton acerbe. T'as jamais utilisé un smartphone ?
-Pas de ce genre.
Il s'est apprêté à faire une remarque, mais s'est finalement ravisé. J'ai pressé le bouton d'appel d'urgence et composé le 911. J'ai mis le téléphone en haut-parleur par souci de transparence. Tout le monde s'était réuni en cercle autour du téléphone. Il y a eu à peine une sonnerie, et une voix lascive a claironné au téléphone ;
-911, quelle est votre urgence ?
-Euh, comment dire ? Ai-je fait avec un rire nerveux. On est coincés sur une île depuis une semaine ?
La voix prend une seconde, pensant probablement à une blague.
-D'accord. Comment vous vous appelez ?
-Jana Mierzwiak.
Il y a un son de vent, comme si l'opératrice écarte le combiné de son oreille, mais on peut très distinctement écouter ce qu'elle dit après :
-Putain, les gens, je crois que je les ai !
Notre petit groupe échange un regard. C'était bête de notre part de penser que l'on ne nous recherchait pas. Cent cinquante gosses ne disparaissaient pas comme ça sans crier gare. Après une discussion avec une autre voix inaudible, l'opératrice recolle le téléphone contre son oreille.
-D'accord. Vous êtes seule ?
-Non.
-Vous pouvez me donner l'identité des personnes qui sont avec vous ?
-Pas de problème ; Melanie Browne, avec un E, Esther Ohlsson, Ethan Young, et Graham Bartlett.
Il y a encore eu une pause.
-D'accord. Vous pouvez me donner une indication sur l'endroit où vous êtes ?
-On est sur une île ?
-C'est tout ?
-Désolée, me suis-je excusée.
-Pas de problème. On va vous rappeler dans trente secondes pour tracer sur l'appel, d'accord ? Je vais raccrocher.
L'opératrice a raccroché, puis rappelé moins d'une minute après pour me demander de garder l'appel ouvert le temps qu'ils puissent le localiser. Deux minutes plus tard, elle nous a laissé, et notre petit groupe s'est mis en marche en silence jusqu'au village du lac, puis jusqu'à la maison qu'Esther et moi partagions. On s'est tous servi un verre, même Graham, qui affichait un air « pas content d'être ici ».
-Quelles connes, ces deux-là, a-t-il grommelé au bout d'un quart d'heure.
-La fausse blonde surtout, ai-je dit.
-Elle me donnait envie de la gifler, avec sa tête de débile, a-t-il répliqué. Mais l'autre aussi. Elle s'est cru la sauveuse. Dieu merci, vous deux lui avez fermé son clapet. Et aussi allégé d'un téléphone à cinq cent dollars.
Melanie a gloussé en repensant à son forfait. J'avais posé le téléphone dernier cri sur la table.
-C'est pas ça qui va lui manquer, à mon avis, a dit Ethan en faisant tourner l'appareil sur lui-même d'un air très concentré.
Quelqu'un a frappé sur la porte, et il a plaqué sa main sur le téléphone pour mettre fin à sa révolution. Esther est allée ouvrir. C'était Preston et une fille que je connaissais vaguement de tête.
-Ils arrivent, a annoncé Preston sans préambule.
Il a traversé le salon-cuisine en bousculant Esther, et attrapé sur le haut d'une étagère la radio que j'avais trouvée le premier jour et reléguée là parce qu'elle ne servait pas à grand-chose. Sans un mot, il a pris une chaise et s'est mis à chercher une certaine fréquence, ce qui lui a pris deux bonnes minutes. Une voix, celle de Gamble, débitait en boucle un avertissement de son ton toujours guilleret.
-...résistance sera inutile. Nous allons vous déplacer, que vous le désiriez ou non. Si vous le désirez, vous pouvez emporte vos affaires. Toute résistance sera inutile.
Preston l'a laissé répéter son message deux ou trois fois avant de baisser le son. Ethan a pris l'air le plus abattu que je ne lui aie jamais connu.
-Ils attaquent, a-t-il lâché.
-Même pas en rêve, a craché Graham. J'ai qu'à dire à mes gens d'attaquer. Nous déplacer en force ? Ha ! Bonne chance.
-Ils sont naïfs, a fait Melanie sur un ton presque attendri.
Ils voulaient s'engager dans une bataille. Il ne fallait pas s'engager dans une bataille, ce n'était pas quelque chose qu'on pouvait se permettre.
-On n'a pas besoin d'attaquer. Il nous suffit juste d'attendre les secours, ai-je dit.
-Dis-moi, entre le crâmage de champ et leur arrivée, il y a eu combien de temps ? M'a demandé Graham.
-Je sais pas, une nuit ?
-Ça leur laisse une journée pour tous nous poutrer, a conclu Graham. Tu aimes taper la discute, c'est ton problème, mais là on n'a pas le temps de prendre le thé.
-Je suis d'accord avec lui, a approuvé Esther.
Preston et Melanie ont collé aussi. Donc il restait Ethan, mais je savais qu'il avait ses pensées arrêtées. Il m'a lancé un regard coupable, puis posé son verre sur la table.
-Désolé, Miss Pacifiste, s'est-il excusé. Graham, va chercher tes gens. Esther, Melanie, ce mec...
-Preston, s'est présenté Preston.
-Preston et moi, on va prévenir les gens. Ceux qui veulent se battre restent et prennent les armes ou les pouvoirs, les autres partent pour le village de bord de mer et rejoignent Jana.
-Ça marche, a fait Graham. Je vais vous ramener le maximum de mutants, bande de gens.
Du même élan, il a terminé son verre, s'est levé et a quitté la pièce. N'ayant pas de temps à perdre, Esther, Ethan, Melanie et Preston ont tous fini leur verre cul sec, et sont allés chercher des armes dans la réserve. Ethan s'est arrêté et a pris mon visage entre ses mains ;
-Je suis désolé, a-t-il répété.
-Je sais, ai-je dit avec un air contrit. J'en ai juste marre de devoir répéter à tout le monde que je l'avais bien dit.
-Espérons que tu n'aies pas à le faire cette fois.
Il m'a plaqué un baiser sur le front et a filé rejoindre les autres.

N/A : Je gagne plus d'une centaine de vues par jour. Je vous jure, c'est terrifiant. Bisoux magiques !

Échoués (FR)Where stories live. Discover now