Chapitre 11

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Kris posa fièrement sa médaille sur sa table de chevet et se couchant ensuite sous les couvertures en se frottant les yeux. Il n'avait pas cessé de sourire depuis qu'il avait réussi à retrouver l'œuf perdu et gagné une médaille. Il avait aussi gagné un squelette de Tyrannosaure, qui s'annonçait être beaucoup plus grand que lui, à construire soi-même.

Au moins, un de nous deux aura eu de la chance au musée. Malgré toutes les pièces que nous avions parcourues, la vieille dame été restée totalement introuvable, presque comme si je l'avais tout bonnement imaginée. Cela expliquait peut-être en partie le fait qu'elle soit habillée aussi sobrement que d'habitude. Cependant, mon côté rationnel me disait que je ne l'avais pas imaginée, je pouvais encore sentir son parfum en fermant les yeux.

Pourquoi aurais-je également imaginé cette conversation ? Ça n'avait pas de sens, ou peut-être était-ce mon subconscient qui me rappelait à l'ordre dans un moment joyeux, pour me dire qu'une ombre persistait toujours au-dessus de nous, que Camille avait disparu et qu'il ne fallait pas que je l'oublie ainsi, comme un sentiment de culpabilité qui me rappelait son visage en rouvrant la plaie enfouie dans mon cœur, qui, pendant quelques instants s'était apaisée.

Je déposai un bisou sur le front de Kris et le laissai seul avec Anna pour son « histoire du soir ». Cette journée m'avait épuisé, courir après un enfant avait eu raison de mon être. A un aussi jeune âge, ils ressemblaient bien plus à des petits vampires suceurs d'énergies qu'à d'innocents petits bout de chou à qui on donnerait le bon dieu sans confession. 

Mon lit sembla être mon meilleur ami quand ma tête s'enfonça entre les coussins, jamais il n'avait été si confortable auparavant. La chaleur de mes draps ne tarda pas non plus à absorber le peu d'énergie qu'il me restait, un nouveau vampire venait de s'ajouter à la liste des suceurs d'énergie, tout comme le troisième, qui allait comme chaque nuit, montrer le bout de son nez.

La nuit était froide, comme toujours en ce mois de décembre. La pluie n'allait pas tarder à se joindre à la fête au vu des nuages qui grossissaient au-dessus de la ville. Malgré la baie vitré à demi fermée dans mon dos, les rires se mêlant aux notes de musiques étaient assourdissants, presque moqueurs à mon égard. Comme bien souvent, je n'avais pas le cœur à la fête, bien au contraire. Cette petite voix en moi avait toujours été là, si encrée que je ne me souvenais pas de ma vie sans elle, elle faisait entièrement partie de moi et elle était à mes yeux ma plus fidèle amie.

Je regardai la fumée tout juste sortie de mes lèvres s'envoler lentement vers le ciel. Cela faisait bien longtemps que j'avais cessé de compter le nombre de joints que je fumais, ça n'avait plus vraiment d'importance à ce stade, une de plus ou un de moins ne changerait plus la donne. Pour sortir d'une addiction, il fallait le vouloir, et ce n'était pas le cas pour moi. Ce sentiment de liberté et de bien-être gagnait largement cette guerre, j'allais mieux et c'était tout ce qui comptait pour moi. Après tout, elle partageait ma vie depuis 7 ans, je n'allais pas divorcer après tout ce temps, ce n'est pas très gentleman. 

Une ombre s'appuya lentement contre la rambarde sur laquelle j'étais. Je n'étais même pas surpris, il n'avait jamais quitté son poste de négociateur pour cas désespéré.

« Qu'est-ce que tu veux Guillaume ?

- Essayer de te faire arrêter cette merde.

- Je n'ai pas besoin de ton aide et je t'ai déjà dit qu'arrêter ne faisait pas partie de mes projets.

- Bridger tu as besoin d'aide... Tu ne peux pas continuer à faire ça. Tu es en train de bousiller ta vie. »

Je savais qu'il avait raison, mais jamais je ne l'avouerais devant lui, ni personne d'autre d'ailleurs, c'était déjà un exploit que j'arrive à me l'avouer à moi-même, il ne fallait pas trop pousser. Un petit exploit après l'autre, ou après rien. 

Il soupira en se frottant les tempes, il avait toujours eu cette réaction dès que quelque chose l'agacer, et avec moi ça arrivait bien plus souvent que nécessaire, j'en avais parfaitement conscience. J'avais été clair dès le début de leurs tentatives pour me sortir de là, je n'avais pas besoin de leur aide, surtout je n'en voulais pas, et ils ne le comprenaient toujours pas malgré toutes les tensions qui naissaient de jour en jour entre nous. Ils étaient sourds, tout comme je l'étais pour eux. 

Ce soir, j'avais envie que les choses changent enfin, quelles évoluent, sans savoir comment y parvenir, alors je relevai la tête vers le ciel en expirant une nouvelle fois la fumée de mes poumons tout en commençant à me balancer de plus en plus sur la rambarde.

« Ne te balance pas ainsi Bridger. Tu risques de tomber. C'est totalement inconscient de ta part d'être assis dessus ! On est au quatrième étage je te rappelle ! Imagine si tu tombes ! »

Je soupirai longuement, il était si agaçant ! Toujours à être rabat-joie, à rappeler à l'ordre et à donner des conseils, même quand ce n'était pas nécessaire ni demandé. Pour le narguer d'avantage, je me balançai encore plus fort sur la rambarde en laissant naître sur mon visage un large sourire narquois.

« Eh dis, tu crois que si je tombe je pourrais m'envoler ?

- Tu n'es pas un oiseau.

- Peut-être que si. On ne sait pas, on n'a jamais essayé de s'envoler en battant des bras !

- Tu n'es pas dans ton état normal, descend de là avant de vraiment tomber.

- Non, je n'en ai pas envie. Je suis bien là. »

J'étais même plus que bien ici, je me sentais libre, presque heureux, alors pourquoi je retournerais dans le salon avec eux, à être à nouveau triste et vide ? Je voulais descendre certes, mais pas sur ce balcon. Je voulais descendre oui, tout laisser tomber, alors lentement, je lâchai la rambarde et regardai Guillaume en souriant.

« Je vais te dire si on peut voler ou non !

- Non ! Ne fais pas ça ! »

Un rire s'échappa alors de mes lèvres, oh si j'allais le faire ! Le sol me hurlait de le rejoindre et je voulais le faire. Je ne pouvais rien faire contre cela, il m'appelait, il m'attirait. Je savais qu'alors j'irais mieux, que cette souffrance pourrait enfin disparaître et me laisser tranquille, que je serais libéré, alors oui, j'allais sauter.

Je fis un dernier clin d'œil à Guillaume, mon seul ami, le seul qui n'avait jamais laissé tomber la loque que j'étais et lui souris de toutes mes dents. Quand je le vis bouger pour tenter de m'arrêter, je lâchai la rambarde en basculant en avant. Il ne devait pas me retenir. Pas ce soir, pas quand j'allais enfin être libre.

« Tu verras ! Je vais voler ! »

Je savais que je ne volerais pas, mais j'étais heureux de savoir que tout ça allait enfin prendre fin. Je sentis l'air passer dans mes cheveux et entre mes doigts tandis que je chutais vers le sol, et bientôt, le visage de Guillaume disparu dans la nuit, je l'entendais seulement hurler mon prénom d'horreur.

Un autre cri répondit au sien, une voix de femme, une voix qui hantait mes nuits chaque fois que je fermais les yeux, une voix, pourtant, que je n'avais plus entendu depuis ma plus tendre enfance.

Je me redressai en haletant dans mon lit. J'étais en sueur, comme à chaque fois, mais ce soir-là était différent des autres, j'avais enfin entendu le prénom des deux personnes. Il y avait Guillaume, je ne savais pas qui il était, je ne m'en souvenais pas, et puis il y avait moi, mais je refusais de croire que j'avais pu faire ça. Jamais je n'aurais sauté, surtout pas devant une personne qui était semble-t-il un ami.Je n'étais pas un monstre, je n'étais pas ce monstre.

Aujourd'hui, je n'avais pas touché le sol, le cri d'horreur que j'avais entendu avant d'ouvrir les yeux ne cessait de résonner en moi et m'avait aussitôt arraché de mon cauchemar. Ce soir, rien ne serait plus jamais comme avant.

Je savais à qui appartenait cette voix.

Eléonore.

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