Jour 17

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Mot du jour : collision

Le Melody naviguait sur la Mer du Nord depuis deux heures quand la tempête éclata. Elle avait été prévue, et les navires de pêche comme celui de Moussa avaient été sommé de rentrer dans un port. Mais voilà, nous étions dans la semaine la plus rentable de l'année puisque les truites de mer passaient par ici dans leur chemin de migration. Moussa, comme ses membres d'équipage, savaient le danger à rester dehors sous tempête, tout en consentant à y être, finalement comme beaucoup de bateaux qu'ils avaient aperçu aux alentours.

La cloche retentissait de manière plus ou moins régulière suivant la houle qui commençait à s'agiter. Moussa regardait les derniers bulletins météo qui ne semblaient pas aussi alarmants que les prédisaient la Haute Autorité Météorologique. Il jeta un coup d'œil sur le pont, où ses employés s'activaient pour régler les dernières poulies afin de lâcher le filet de la manière la plus productive et rentable possible.

Le moment de jetée était calculé à la seconde près pour pouvoir en faire trois à la suite. La quatrième ne devait servir qu'à attraper un peu de retardataires, parce qu'il y en avait toujours. Le capitaine du Melody plissa les yeux sur son radar. L'image venait de se brouiller. Il tapota dans un coin, le regardant attentivement, mais pas d'autre mouvement. Ils allaient arriver au moment optimal. Il activa l'alerte de descente des filets, et les matelots, machine bien huilée, bougèrent de concert pour accompagner le mouvement du bateau, dont le tangage inquiétait certains jeunes pêcheurs.

Moussa ne se formalisa pas des gerbes d'eau passant par les dalots, inondant les pieds couverts de bottes en caoutchouc des hommes s'accrochant au bastingage. Sa radio grésilla. Il la repris, demandant s'il y avait quelqu'un sur la fréquence d'urgence, puisque c'était celle-ci qui venait de s'activer. Personne ne se manifesta, et son attention retourna sur la météo et son radar. Tout allait bien... Allait. Jusqu'au moment où l'intégralité des voyants s'alluma en rouge et que des bips très sonores se mirent à retentir dans la cabine. Un éclair éblouit l'entièreté de l'équipage du Melody accompagné par un bruit assourdissant. Moussa éteignit coupa le son du plus de machine possible pour avoir une vision d'ensemble de sa situation. L'orage n'avait jamais été annoncé par ses capteurs, ni par la Haute Autorité Météorologique. Une tempête oui, mais pas orageuse. Le radar vacilla de nouveau, et la radio grésilla sans qu'aucune voix n'en provienne. La bouche de Moussa s'ouvrit, puis se ferma, pendant qu'il réalisait ce que ses instruments lui indiquaient et que ses yeux tentaient de compter le nombre de personnes présentes sur le pont.

Une tempête magnétique. Il n'en avait plus vu depuis son expédition dans le grand Nord. Il devait quitter la zone le plus vite possible. Il pouvait gérer des vents violents et des vagues gourmandes, mais jamais il ne pourrait gérer ça alors qu'il n'avait ni outil ni commandes.

Il tira la sonnette rouge à sa droite, et une corne de brume rompit le vacarme fracassant des vagues. Ses hommes ne réfléchirent pas plus longtemps, lançant la procédure de remontée dans la seconde. L'éclair avait dû les secouer aussi. Une vague vint frapper la coque avec une violence obligeant certains marins à attraper des congénères restés debout. Moussa se maintint en position, ses mains posées sur son tableau de bord. Ils n'allaient jamais s'en sortir. Il ne sortit pas de sa cabine, essayant tant bien que de mal de compenser la houle le temps que ses matelots ramenaient le filet, vide, à bord du bateau. Une fois que ce fût fait, il cria ses ordres dans le mégaphone de sa cabine, et l'instant d'après, ils étaient 8 à l'intérieur du poste de commandement, trempés à cause de la bourrasque de pluie qui venait de passer autant que de la vague immense qui avait sans problème dépassé le navire. Moussa entreprit d'expliquer à ses collègues que la tempête serait bien plus violente que ce à quoi ils s'étaient attendus et qu'il y avait des chances pour que le bateau soit complètement livré en pâture à la Mer dans les prochaines minutes, si on se fiait à la violence du premier éclair. Comme pour illustrer son propos, un second vint se fracasser sur le pont du navire. Dans un geste religieux, il remercia son Dieu que la cabine fût une cage de Faraday. Il jeta un regard inquiet mais fataliste en direction de ses instruments, qui ne diffusaient plus la moindre lumière. L'éclair avait cramé les récepteurs. Ils ne contrôlaient plus rien. Il confirma à ses amis et matelots ce qu'il venait de se passer, les intimant de prier eux aussi, une puissance tierce de les épargner.

Certains murmurèrent, d'autres se mirent à pleurer et d'autres encore semblaient figés dans l'attente d'un funeste futur auquel ils se préparaient. Deux d'entre eux vomirent sur le sol de la cabine, rendant l'air presque irrespirable, mais personne n'émit l'hypothèse d'ouvrir, tant la tempête à l'extérieur faisait rage. La pluie qui tapait aux vitres était si puissante qu'ils avaient l'impression d'être sous des tirs de milliers de fusils d'assaut. L'orage ne se calmait pas, et criblait le bateau d'impacts plus imposants les uns que les autres. Le bateau ne tiendrait plus longtemps. C'est la dernière chose à laquelle Moussa eut l'occasion de penser car une vague bien plus haute que les autres renversa complètement le navire, plongeant la grande majorité de l'équipage dans l'inconscience suite aux divers chocs contre les murs, instruments et autres membres. Le bateau resta quelques longues secondes à l'envers avant d'être repoussé par une autre vague, retrouvant plus ou moins un aspect normal. Il flottait à peine, si bien que le courant n'eut pas beaucoup d'effort à faire pour propulser la coque endommagée vers les cailloux acérés de la cote anglaise. Ils n'avaient pas la moindre chance face à ça.

A moins que. A moins que cette tierce puissance ne les ait entendus. Si écharpés, les rochers pêchèrent le navire, le maintenant coincé, hors de l'eau, dans un sale état, à deux mètres au-dessus du niveau habituel de la Mer du Nord.

Ils furent retrouvés en vie. Blessés, traumatisés à vie par l'expérience qu'ils venaient de traverser, mais en vie. Moussa fit le plaisir à sa femme de ne plus jamais monter sur un bateau, et à son Dieu de redoubler d'effort et d'investissement pour lui. L'histoire de cet équipage miraculé fit le tour du monde, on lui proposa même d'aider à écrire le film relatant son aventure. Il refusa. Les autres y voyaient une histoire extraordinaire. Lui y voyait sa propre mort.


Ecrite et publiée le 17/10/2021

Pentober 2021Where stories live. Discover now