Progressions

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Pourtant, ça avait bien commencé. Elle avait d'abord contourné la base d'un immense tronc d'arbre, qui lui servait de point de repère. Mais elle avait cru voir quelque chose se tortiller telle une proie en train de mourir. Avide de faire ses preuves, elle s'était précipitée dans l'inconnu...

Désormais le retour en arrière était impossible. Rien n'était reconnaissable, et tout se ressemblait... sans se ressembler. Où que portent ses yeux, des feuilles, de la terre, des branches mortes et des mousses. Pas de trace de ses sœurs.

Jamais la fournisseuse ne s'était sentie aussi seule. Elle n'avait aucun point de repère. Et elle savait, mais ignorait comment, qu'elle se trouvait plus loin de sa famille que la dernière fois.

Que faire ? Avancer, reculer ? Aller d'un côté ou d'un autre ? Toutes ces questions se chamboulaient dans son esprit. Elle était absolument égarée. Lorsqu'on est une fourmi, on naît, on sert sa famille, puis on meurt. On doit rarement prendre d'importantes décisions par soi-même. Il n'y a pas de donneuse d'ordres fixe, toutes le sont, puis deviennent exécutrices. Pour une fourmi seule, choisir entre autant de possibilités est effarant. Qui plus est lorsque sa survie est en jeu.

La jeune fourmi inexpérimentée tenta de revenir sur ses traces. Peut-être retrouverait-elle l'immense tronc qu'elle avait longé ? Mais ce à quoi elle ne s'attendait pas, c'est que tous les troncs autour d'elle soient immenses.

Elle devient d'un coup consciente du bruit ambiant, et elle s'en trouva abasourdie. Jamais elle ne s'en était rendue compte, après tout, elle vivait constamment dedans. Mais maintenant, il lui était insupportable, et lui embrouillait l'esprit.

La fourmi essaya de se répérer autrement. Elle fureta au milieu des buissons fever et de leurs petites fleurs jaunes dans la quête d'une piste de phéromones. Même étrangère, cela aurait pu l'aider. Sauf qu'elle ne trouva rien.

Alors elle changea de stratégie, et grimpa précautionneusement sur la première fougère venue. Celle-ci lui offrit une vue panoramique des environs. Vue d'ailleurs assez inutile, puisque le champ de vision de ces fourmis est très restreint à ses alentours les plus proches. Mais son action lui permit de trouver un papillon.

On apprend peu de choses lorsqu'on arrive au monde au milieu d'une famille de fourmis. Ou du moins, on apprend le strict minimum qui est utile pour aider ses sœurs et sa mère. Cependant, un autre point que l'on apprend aussi, c'est les techniques de survie dans la nature. Et parmi celles-ci, il y a l'astuce du papillon.

Un papillon est extrêmement dur à suivre, surtout à son rythme de vol, versus un rythme de marche de fourmi. Mais ce n'est pas infaisable. Et en dernier recours, c'est même plus qu'utile. Il suffit de le pister, et un jour ou l'autre lui vient le besoin de boire. Il volette alors jusqu'à la mare ou le point d'eau le plus proche. Et les mares de la région se trouvent toutes près de la rivière. Donc, près d'une potentielle manière de rentrer chez soi.

La descendante de la première fourmi n'avait pas réfléchi aussi vite. Le temps qu'elle imagine ce plan, ou du moins qu'elle en ait l'instinct, le papillon s'était envolé. Mais la présence à ses côtés de fleurs immenses issues de ce qu'elle ignorait être un chèvrefeuille géant en attira rapidement un nouveau.

Celui-ci était grand et majestueux. Ses deux grandes ailes ainsi que son corps étaient noirs rayés de fines lignes blanches. Les bouts de ses ailes, qui ressemblaient à des gouttes d'eau coulant indéfiniment, étaient oranges et absolument magnifiques.

Il s'envola. La traque s'avéra bien plus hardue que prévue. Le papillon alternait des périodes de vol interminables durant lesquelles le suivre était presque impossible, et des périodes durant lesquelles il se posait sur une fleur, et restait là longtemps, trop longtemps, repartait et recommençait.

Un voyage fourmillantesqueWhere stories live. Discover now