Prospérités

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Le tonnerre gronda et la pluie s'effondra sur le sol comme s'il était le seul à pouvoir lui offrir du repos. Rita parvint difficilement à se cacher. Cette fois-ci elle n'eut pas d'autre choix que de s'enfoncer dans la terre meuble et boueuse. Mais elle était prévoyante et s'était entourée de cailloux immenses qui éviteraient à son logis provisoire de disparaître.

Lorsqu'elle fut installée, elle laissa le soulagement et la peur s'emparer d'elle. Elle avait cru qu'elle allait mourir. La fourmi s'en était même persuadée. Il n'y avait rien à faire quand on se retrouvait collée à une langue de lézard. Si ce n'est attendre la fin.

Tout se passa si vite qu'en réalité, elle n'eut pas le temps de développer et même esquisser ces réflexions. Elle put juste tenter de s'échapper. Et échouer lamentablement. Il était impossible de se décoller. L'ancienne fournisseuse n'avait jamais entendu parler d'une prouesse pareille, un animal qui puisse attraper sa proie en l'attirant sur une partie de son corps. C'était extrêmement sybillin.

Néanmoins la divine Nature était derrière elle. Plus le temps passait, et plus il semblait que celle-ci suivait et aidait Rita dans son lent parcours.

Justement, tout se joua en quelques secondes. Un passereau à petit bec et à ventre roux arriva juste derrière le lézard. Il l'avala promptement d'une manière assez abrupte qui ne devrait pas être décrite aux esprits sensibles. Son bec se referma goûlument sur son repas en coupant soigneusement la langue du quadrupède non loin du bout où l'infortunée voyageuse était retenue.

Tout cela ne prit que quelques dizièmes de secondes. La fourmi elle-même ne sut jamais comment elle survécut. On pourrait conjecturer que c'est ainsi que se forment les mythes et histoires imaginées. L'absence d'histoire crée l'histoire.

Elle imagina ainsi que la Nature lui était venue en aide. Ou plutôt la première des fourmis. Celle-ci avait effectué une intervention immortelle sur le futur de sa descendante et lui avait sauvé la vie.

×××

Après que l'orage fut passé, Rita s'endormit, espérant que le peu de lumière restante la sauverait d'une coulée de boue en durcissant cette dernière. Le danger en question ne l'atteignit pas alors que l'absence de Lumière durait. Dans de telles conditions, Rita ne pouvait qu'attendre qu'elle revienne.

Lorsque ce fut le cas elle se dirigea bravement vers '' son '' ruisseau. Il était encore plus fin qu'avant. Quelques jours de périple supplémentaires et peut-être qu'il ne ferait plus que la taille de la fourmi elle-même.

L'ancienne fournisseuse commença alors sa trotte avec la Nouvelle Lumière. Elle avait pris l'habitude, chaque matin, de vérifier le ruisseau, puis d'aller se trouver une fleur à nectar. En gardant ce dernier dans son deuxième estomac, elle pouvait tenir toute une journée sur un seul ravitaillement. Cela ne lui permettait que d'aller plus vite, et donc plus loin.

Elle effectua donc cette action, puis commença à abattre l'espace qui la séparait de la source de la première fourmi, qui était aussi la source de l'eau. Elle se sentait différente des précédentes Nouvelles Lumières. Plus triste, si elle avait connu ce mot pour exprimer son ressenti. Il y avait plus que de la nostalgie dans cette tristesse.

En effet, la fourmi se posait des questions. C'était étrange, de réfléchir par elle-même. Elle se demandait d'abord, à propos de sa propre famille : pourquoi aucune de ses sœurs ne lui avait raconté les dangers qui les entouraient ? Les ignoraient-elles ? Pourquoi effectuer des services pour sa famille alors qu'elle avait prouvé qu'une fourmi pouvait vivre en auto-suffisance ?

Un voyage fourmillantesqueWhere stories live. Discover now