26 Septembre

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« Le meilleur moyen, pour réussir à surmonter ce qui vous pèse, c'est de vous confier et de vous ouvrir, alors oui, je vous l'accorde cette position et ce cliché du psy sont un peu dérisoires, mais c'est une technique qui a fait ses preuves dans le passé, alors soyons optimistes, voulez-vous? »

Alors pour être dérisoire, c'était dérisoire. Eddie n'y avait jamais cru, à cette science infuse de la psychologie, à cette manipulation de l'esprit pour pousser à dire ce qui ne va pas. D'ailleurs ça le faisait flipper plus qu'autre chose, il n'aimait pas penser que quelqu'un pouvait jouer avec son cerveau comme bon lui semblait.

Toutefois, il avait obtempéré. Il avait retiré ses chaussures (pour "se mettre à l'aise et créer un espace confortable") et s'était allongé. Pendant près de deux minutes il n'avait fait que retirer les coussins, les remettre, les aplatir, les gonfler, les plier les relever, pour au final les retirer et poser sa tête sur l'accoudoir, bien moins confortable, mais moins compliqué à modeler. Il avait croisé ses mains sur son ventre et avait regardé le plafond, en faisant tourner sa langue dans sa bouche, jusqu'à ce que le regard impatient -et légèrement amusé- du docteur lui fasse tourner la tête et le fasse se sentir terriblement ridicule.

Une fois il avait accompagné Christopher chez le pédopsychiatre et pendant toute la séance, il n'avait fait que passer d'un visage à l'autre, sans rien dire, sans comprendre et en fronçant les sourcils pendant toute l'heure, complètement perdu.

Ce même regard d'incompréhension, il l'avait actuellement, et il le portait presque tous les jours depuis plusieurs mois.

« Vous m'avez demandé de vous aider, alors je suis là pour ça. De quoi vous voulez me parler? »

Eddie se pinça la lèvres, un gargouillement s'échappant d'entre ses lèvres, suivit d'un petit sifflement et il se mit à tapoter de l'index sur les phalanges de son autre main. Il regarda à nouveau le plafond blanc et subitement, c'était le trou noir total.

Il ne savait pas quoi dire, parce qu'il ne savait pas par où commencer. Il ignorait ce qu'il faisait là et ce qu'il l'y avait mené et même s'il le voulait vraiment, il n'arrivait toujours pas à comprendre et trouver ce qui avait changé dans sa vie pour qu'il se retrouve aujourd'hui, dans un canapé en cuir, à regarder dans le vide en répondant aux questions tellement vastes d'une femme, qu'il pourrait en faire un bouquin.

Ses souvenirs ne remontaient pas à si loin, mais le tout premier qu'il avait, c'était celui d'un feu d'artifice près d'un lac, le jour du 4 juillet. Il se souvenait d'une chaise pliante blanche et bleue et dont le tissu de l'assise était blanchi car laissé trop longtemps sous la pluie et il était certain, que s'il s'y était assis, elle se serait déchirée et il aurait fini sur les fesses.

Il entendait la voix de son père, qui préparait l'emplacement pour voir le spectacle, qui sortait les pulls et les jumelles, parce que regarder des explosifs avait quelque chose de plus intéressant quand c'était de très près.

Sa mère ne disait pas grand chose, elle se contentait de maintenir son garçon debout alors qu'il rêvait de courir dans le parc bondé et sa crainte de le voir disparaître et de ne plus l'apercevoir, se ressentait au travers de sa poigne ferme mais tendre, empêchant toute tentative de s'enfuir et d'aller chasser les canards.

Eddie était un enfant assez turbulent, mais très attachant et câlin. Aujourd'hui encore, il l'était toujours un peu dans les deux cas.

C'était son premier souvenir de la vie, il ne devait pas avoir plus de cinq ans et pendant toute sa vie, il s'était demandé, pourquoi se souvenir était resté ancré dans sa mémoire alors qu'il n'avait rien de plus important que les autres, ni de traumatisant ou de marquant. Ce n'était qu'un soir de juillet avec ses deux parents, pour regarder des lumières dans le ciel, entendre de la musique et voir des gens qui avaient la fâcheuse tendance à lui tirer la peau des joues, sous prétexte qu'elles étaient "douces et rondes".

War of MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant