Donner un titre à ce Chapitre

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C'était il y a quelque temps, dans un parc. Je me souviens d'un ciel gris, de deux canards plantés dans une sorte de bassin en pierre, de miettes de pain sous les ongles.

On devait bien être en automne, un souffle était discernable à côté de moi, mais elle ne fumait pas encore à l'époque. Alors on était deux. Oui, elle devait forcément être là.

Elle m'avait arrachée à la surveillance de ma mère pour une heure ou deux, quel exploit ! Pour aller voir la grand mère, une excuse dans ce genre. Mais on était parties au parc. Pourquoi ? Tout est vraiment flou.

On s'asseoit sur un banc, Elle, de cette manière un peu cool, un peu décontractée, avec les pieds sur l'assise, et moi un peu de travers, mais de manière plus raisonnable. Pour l'imiter. J'imitais déjà pas mal.

On parle peu. C'est difficile de parler à une petite fille qui est bien silencieuse, surtout avec vingt neuf ans d'écart, même quand on a des trucs à lui avouer. Surtout, quand on a des trucs à lui avouer.
Un manège brille au fond du parc, une promesse colorée pour après.  

- Pourquoi on y va pas ?
- Après, si on a le temps.

Je trépigne, c'est le froid. Ou bien l'anticipation : les garçonnets sur des chevaux en bois deviennent des rois, je me ferai bien couronner aussi, pour peu qu'on me laisse y aller.

- Quand j'étais petite, ta mère m'amenait souvent par ici. Mais c'était souvent quand elle avait quelque chose à se reprocher. Elle me payait une gaufre à la chantilly quand il y en avait encore, et ça voulait dire quelque chose comme " excuse moi ".

Elle sourit. Et c'est un beau sourire qui donne envie de sourire, d'habitude. Mais là c'est juste un peu sinistre. Des yeux fantomatiques, et cette façon de plisser des yeux, je crois voir ma mère. En moins autoritaire, en plus déroutant. C'est une copie moyenne, plus vive et débordante, plus agitée aussi, comme une étincelle.

- Tu sais, moi, je voulais pas d'enfant. J'aurais couru le monde, moi. Partir, partir, faut toujours partir, t'enfuir avant qu'on essaie de t'empêcher de faire ce que tu veux. Maintenant, j'apprends que je ne courrai plus jamais, mais aussi que je vais devoir rester.

On comprend pas tout, à mon âge. Mais on essaie, on fait comme si, avec des mots de travers, qu'on décalque des conversations entendues sous les portes.

Ce jour là, je n'avais pas compris ce qu'elle essayait de me dire. Mais quand elle est revenue, pour les vacances de Pâques, elle était changée comme d'habitude, maigre comme un mois de février, nouvellement fumeuse, et porteuse de merveilles : une promesse encourageante, et une gaufre à la chantilly.

Boule de papierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant