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- Mooorning's here, the morning's here! Sunshine is here, the sky is clear! The morning's here, get into gear! Breakfast is near, the dark of night has disappeaaared!

Mais ce garçon ne s'arrête-t-il donc jamais ?!
Il est tôt, bien trop tôt, et Jojo vient de me réveiller en musique, avec une chanson d'un épisode de la vieille sitcom F•R•I•E•N•D•S.
J'adore cet épisode, mais je n'aurais jamais pensé qu'on me réveillerait comme ça un jour ! Et franchement, je ne souhaite ça à personne ! Sauf à Jojo, peut-être.

J'ai envie de le tuer.
Il est huit heures du matin (un réveil est arrivé comme par magie dans la nuit) et j'ai déjà des pulsions meurtrières.
Le soulagement que j'ai ressenti hier en le retrouvant après mon entrevue avec le professeur Croix aura été... bref.

- Mooorning's here, the morning's here!

Rien ne semble le faire taire.
Aux grands maux les grands remèdes.
J'empoigne mon oreiller à deux mains et je le balance rageusement à la figure de Jojo qui l'attrape au vol en riant.

- Sunshine is here, the sky is clear!

Il danse la valse avec mon oreiller, maintenant. Il danse la valse avec mon coussin ! Il est inépuisable, ou quoi ?

- The morning's here, get into gear!

Je ne vois pas d'autre solution que d'enfouir ma tête dans ma couverture, ce qui semble amuser le démon qui me sert d'allié au plus haut point.
Je me fiche que Jojo ou moi nous fassions attraper par un Traqueur - ou un Dark Vador, comme j'aime les appeler - qui pourrait débouler à n'importe quel instant, je veux seulement qu'il arrête de chanter ! Je veux profiter d'une grasse matinée !
Mais j'ai bien conscience que c'est impossible. Car aujourd'hui commence mon entraînement.

- Allez, debout, marmotte !

Outrée, je me redresse d'un bond.

- J'étais épuisée, hier soir !
- Oui, oui...
- Tu t'es levé à quelle heure, toi ?
- Suffisamment tôt pour planifier ton réveil, répond-il malicieusement.
- Merci de ne pas te servir de moi pour tes expérimentations, la prochaine fois !

Son sourire s'élargit d'autant plus.

- Quoi, tu ne vas pas me dire que tu n'as pas aimé ma petite chanson ?

Dilemme.
Est-ce que j'utilise mon sarcasme légendaire, ou bien est-ce que je lui hurle que NON, ÇA NE M'A PAS PLUS DU TOUT ! ?
Il est trop tôt pour que mon cerveau crée une vanne digne de ce nom, alors j'opte pour la deuxième option.
Inspiration...

- NON, ABSOLUMENT PAS ! ALORS TU ME FERAS LE PLAISIR DE ME RÉVEILLER COMME LES GENS NORMAUX, LA PROCHAINE FOIS !!

... expiration.
Je me sens plus légère, tout à coup.
C'est dingue, crier sur les gens a de vrais effets bénéfiques.

- Olala, ne te fâche pas pour si peu... boude-t-il, faussement vexé. Tant pis pour toi, tu ne profiteras pas du réveil que j'avais prévu pour demain matin. Tu ne sais pas ce que tu rates !

Mince alors, j'en éprouverais presque des regrets... (L'ironie étant difficilement décelable à l'écrit, je vous précise que je suis sarcastique au possible.)
En tout cas, je suis parfaitement réveillée, maintenant. Impeccable, on va pouvoir discuter de notre plan... qui n'a pas avancé depuis hier.

- Bon, Jojo, passons aux choses sérieuses. Il faut qu'on élabore notre plan.
- Non, pas tout de suite.
- Pourquoi ?
- Le petit-déjeuner ne va pas tarder à être servi, et après ça, on a tous les deux entraînement.
- J'ai hâte, dis-je avec un sarcasme palpable et en levant les yeux au ciel.
- Oui, moi aussi... Enfin bref, il faudra attendre ce soir pour qu'on puisse discuter stratégie.
- Ça va être looonnng...

Les commissures de ses lèvres s'étirent doucement en un sourire. Qu'est-ce qu'il va me sortir, cette fois ?

- Tu as peur que je te manque ?

C'était donc ça.

- Pas du tout !

Je m'attendais à ce qu'il se vexe, mais loin de là, il me taquine.

- Même pas un tout petit peu ? réplique-t-il, toujours affublé de son sourire en coin.
- Pas le moins du monde, je réponds, en détachant bien chaque syllabe.

J'ai toujours été nulle pour mentir. Et Jojo a l'air de s'en apercevoir.

- Je ne te crois pas.

Il n'y a pas de miroir en face de moi mais je sais que je suis en train de rougir. Je le sens.
C'est toujours comme ça quand j'essaie de mentir et que les gens s'en rendent compte.

- Eh bien... tu... tu devrais ! Parce que... euh... tu ne m'as pas du tout manqué... hier...

Ça y est, je commence à bafouiller. C'est mort. Il a compris que je ne lui disais pas la vérité, et il va me charrier pendant des heures.
Jojo s'approche lentement de moi, et je devine un immense sourire refoulé.

- Tu es sûûûre ?

Entre mon mensonge et la proximité de nos visages, ma poker face tombe en miettes.

- Bon, d'accord, t'as gagné ! Oui, tu m'as manqué hier soir ! C'est bon, t'es content ?!

Il se recule, un sourire triomphant sur le visage.

- Oui !

Il faut que je change de sujet, ça devient trop gênant. Jojo est super fier de lui et moi, je veux disparaître dans un trou.

- Je ne t'ai jamais demandé : tu as des frères ou des sœurs ?

Il a l'air surpris de ma question. En même temps, elle est un peu sortie de nulle part.

- Oui, j'ai deux petites sœurs, elles sont jumelles !
- C'est vrai ? Elles ont quel âge ?
- Elles ont dix ans !
- Ça vous fait un sacré écart.
- C'est vrai, mais ça ne nous empêche pas de bien nous entendre !
- Tant mieux pour vous !
- Et toi, alors ?
- Moi, j'ai un grand frère. Il a le même âge que toi, et entre nous, c'est... explosif.
- J'imagine bien, rit-il.

Un silence s'installe, durant lequel nous méditons tous deux sur nos familles. La mienne me manque tellement... Je suppose que c'est pareil pour lui.

- Au fait, Jojo.
- Hmm ?
- Comment en sais-tu autant sur les Traqueurs et sur l'entraînement ? Tu as l'air d'être arrivé en même temps que moi, ou presque.

À ces mots, son visage s'assombrit.
Il ne dit rien, alors j'insiste un peu.

- Toi aussi, tu as été recruté contre ton gré, non ?

Toujours rien.

- Tu n'as pas été volontaire ?

Il sort enfin de son mutisme.

- J'ai récolté des infos ici et là, et j'ai lu des bouquins sur les Traqueurs. C'est tout.

Il a été concis. Ça ne lui ressemble pas.

- Mais qui en connaît autant sur le gouvernement et ses pions ? Et puis, les livres ne mentionnent pas ou peu les Traqueurs. On ne sait presque rien sur eux.

Il a l'air de bouillir intérieurement, je me demande bien pourquoi.
Et comme je suis très têtue, j'enfonce le clou.
J'ai besoin de savoir qui l'a si bien renseigné.

- Ou alors, tu connais quelqu'un chez les Traqueurs ?

Et là, il explose.

- OUI, JE CONNAIS... JE CONNAISSAIS QUELQU'UN CHEZ LES TRAQUEURS ! MES PARENTS EN FAISAIENT PARTIE ET EUX AUSSI, ILS ONT TENTÉ DE RENVERSER LE GOUVERNEMENT, MAIS ÇA LEUR A COÛTÉ LA VIE !!

Je m'attendais à tout sauf à ça.
Une fois la colère passée, c'est la tristesse qui s'invite sur son visage.

- Si je me bats, c'est aussi pour eux... pour réaliser le rêve qu'ils n'ont pas eu le temps de finir...

J'ai vraiment le chic pour mettre les pieds dans le plat.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant