pleurez chez vous, pas ici

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la plus jeune ricana.
- oh, allez, je pensais qu’on avait passé le cap du "vous vous foutez de moi", non?
- tu...
- non. arrêtez. je sais très bien que vous vous complaisez dans votre confort quotidien. moi, après tout, ça m’est égal, vous savez. mais par rapport à vous-même, ça doit être terrible de vivre en sachant clairement qu’on n'est pas ce que l’on voudrait.
la châtaine poussa un gros soupir et posa son coude gauche, qui était celui vers sa voisine, sur le comptoir à côté du droit pour appuyer sa tête entre ses deux mains.
- c’est compliqué, de vivre, tu sais.
- c’est à moi que vous dites ça?
la châtaine fit un sourire contrit en laissant glisser ses mains de son front à l’arrière de son crâne.
- excuse-moi.
- il n’y a rien qui ne mérite une excuse.
- si tu le dis.
un silence s’installa. la châtaine finit cul-sec sa moitié de verre restante et leva à nouveau l’index sous le regard réprobateur de son interlocutrice. quand elle le reçut et commença à le boire lentement, la brune marmonna :
- le dixième, quand même...
- tu disais?
- je remarquais que vous ne devriez sûrement pas boire autant.
- je tiens l’alcool. ne t’inquiètes pas pour moi.
la brune se pinça l’arrête du nez entre le pouce et l’index droit.
- quelqu’un vous attend chez vous?
la plus âgée réfléchit quelques secondes avant de lâcher :
- ma fille. peut-être.
- comment ça, peut-être?
- elle a ton âge, elle se gère comme elle l’entend. mais je crois qu’elle est chez une de ses amies.
la brune soupira.
- je vous ramène, alors. vous êtes loin?
- la soirée vient à peine de commencer!
- vous êtes ivre morte.
- n’importe quoi!
- citez-moi la deuxième loi de Newton, pour voir?
- la... quoi?
la châtaine cligna plusieurs fois des yeux d’incompréhension en dévisageant sa voisine.
- c’est vous-même qui m’avez expliqué son fonctionnement. alors on remballe, si vous êtes incapable de vous souvenir qu’elle existe seulement.
- eh, non!
un regard sévère de la plus jeune, qui avait fait tourner son tabouret pour ne plus être face au bar mais devant son interlocutrice, fit taire les protestations de la plus âgée. cette dernière descendit d’une grande gorgée ce qu’il lui restait de whisky dans son verre et interpella le barman pour régler sa note à laquelle elle ajouta la bière de la brune. une fois cela fait, sous les yeux exorbités de la jeune qui ignorait que l’alcool coûtait aussi cher, la châtaine ânona d’une voix pâteuse :
- je suis à moins de cinq minutes à pied, je me débrouille seule à partir de maintenant, mais c’était gentil de proposer ton aide.
elle descendit de son tabouret mais perdit aussitôt l’équilibre, le monde tanguant autour d’elle. autant lorsqu’elle était assise, tout était relativement stable. mais désormais, c’était le contraire. elle se fit rattraper de justesse par la brune qui dût passer deux bras de part et d’autre de sa taille pour l’empêcher de rencontrer le sol.
- mais quelle minable je fais... commença à sangloter la châtaine, la tête dans l’épaule de son interlocutrice.
celle-ci s’était crispée, surprise du soudain contact physique et ne sachant pas réagir convenablement. elle n’avait pas l’habitude de gérer des personnes torchées. habituellement, c’était elle qui se bourrait la gueule et les autres qui la ramassaient à la petite cuillère. pas l’inverse.
- allons, calmez-vous.
le ton était hésitant et elle l’accompagna de petites tapes maladroites dans le dos.
- on va y aller, d’accord? mais calmez-vous un peu, vous serez plus à l’aise chez vous pour pleurer.
elle voulut aussitôt se taper le front de la main devant sa gaffe plus qu’évidente, mais le corps toujours avachi entre ses bras l’en empêchait. cependant, contre tout attente, cette dernière phrase sembla fonctionner un peu puisque la châtaine se redressa en titubant et, se servant de la brune comme point d’ancrage, entama son chemin vers la sortie du bar.

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