Chapitre 3

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Ariane

— Ariane, tu m'écoutes ?

Avachie sur la moquette de ma chambre, les bras autour de mon corps, je me berçais d'avant en arrière depuis des heures. J'avais perdu la notion du temps et oublié la présence d'Antoine, assis sur mon lit.

— Oui...

Je refusais de lever la tête. La lumière du jour agressait sans cesse mes yeux humides. Ma seule échappatoire consistait à trouver refuge dans mes souvenirs, là ou l'image de ma mère demeurait intacte. J'avais conscience de m'enfoncer peu à peu dans une spirale infernale, mais je me contrefichais des conséquences. Mon avenir s'annonçait chaotique, que je me batte ou non.

— Est-ce que tu as les coordonnées de la mairie ? Il faut leur annoncer sa disparition.

Quelle ironie... Pour quelle raison l'humain s'amusait-il à jouer sur les mots ? En quoi utiliser un terme adouci pourrait bien apaiser les blessures ? Au contraire, il accentuait ma douleur de ne plus jamais la revoir.

— L'annuaire est sur la table basse... parvins-je à marmonner.

Heureusement qu'il possédait une parfaite audition ! Je l'entendis pester en sortant de la pièce. Lorsqu'il revint, il le déposa avec violence sur le lit.

— Tu pourrais m'aider un peu.

Ses propos auraient pu m'atteindre si je n'étais pas ensevelie sous une montagne de pensées négatives. Je me flagellais tellement que j'avais la sensation de devenir folle.

— Je... Désolée...

Je m'interrogeais en même temps sur l'être humain. Les émotions régissaient sa vie et son corps. Le deuil transformait une personne en une vraie loque en l'espace de quelques secondes. Je faisais partie de ce groupe de gens anéantis par le chagrin.

— Il faut aussi résilier son abonnement téléphonique, voir si la mutuelle peut participer aux frais d'obsèques et contacter la Sécurité sociale.

J'avais beau les entendre, ces paroles rentraient d'une oreille puis ressortaient de l'autre à la même vitesse. Je devenais hermétique à toute contrainte.

— Je vais avoir besoin de toi.

Je croyais rêver. J'étais la seule à demander de l'aide ! Dans l'histoire, je souffrais le martyre et lui s'amusait à me torturer. L'enterrement de ma mère n'avait même pas eu lieu qu'il me secouait déjà comme un prunier. Attendait-il une réaction de ma part ?

— Écoute, je peux repasser si...

J'avais la sensation qu'il ne s'était jamais retrouvé face à une telle situation. Et pour cause : assister une collègue de travail dans ses démarches après un décès relevait de l'héroïsme. J'ignorais ce qu'il y gagnait, hormis la fierté de se qualifier de serviable. Au moins, son curriculum vitae jouissait d'une nouvelle compétence.

— Laisse tomber, articulai-je.

Je me relevai avec une grande difficulté pour le suivre jusqu'à la porte d'entrée. Hélas, il restait bloqué sur mon lit, la mine contrariée.

— Je suis là pour toi. Profites-en.

Je constatai avec déplaisir que sa stratégie avait échoué. Certes, il quêtait une parole ou un geste, mais je le mettais dehors sans ménagement et sans considération pour ses efforts. Je ne méritais pas sa gentillesse.

— Je sais. Pardon.

Je baissai la tête en constatant que je nageais dans mon pantalon. Depuis quand avais-je commencé à perdre du poids ? Si je continuais sur cette lancée, ma santé en prendrait un sacré coup. À quoi bon m'en soucier ? De toute façon, les honnêtes gens finissaient tous dans un cercueil à cause de cette fichue maladie. Tôt ou tard, elle me rattraperait comme les autres.

Je serai làWhere stories live. Discover now