Chapitre 2

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S'il neigeait sur une île au sud de Nyirdall, il pleuvait à grosse goutte au-dessus de la capitale. À Stanmore, le temps était gris et maussade, tout autant que l'humeur en général de Leerian. Les mains dans les poches, une couverture autour de ses épaules, il regardait par la fenêtre de sa chambre, au quarante-cinquième étage de la Tour des djinns. En contrebas, il voyait les gens qui courraient pour se mettre à l'abri. D'autres avaient des journaux ouverts sur leur tête en guise de chapeaux.

Leerian les enviait. Il aurait tout donné pour être dans la rue. Ou n'importe où, tant que ce n'était pas ici, dans cet immeuble. Ça faisait six mois qu'il y était, sans possibilité de sortir ne serait-ce que pour prendre un peu d'air frais.

Six mois qu'il ne faisait rien d'autre que parcourir l'étage de long en large, à se faire servir aux petits oignons par quelques lutins qui l'appelait « monsieur » à tout bout de champ... et ça, c'était uniquement parce que, dans un temps de frustration, il avait hurlé haut et fort qu'il trancherait la gorge du prochain qui l'appellerait « mon roi ». Pour sa défense, ce jour-là, c'était la veille d'une pleine lune et il avait les nerfs à fleur de peau.

Chris, le djinn qui lui rendait régulièrement visite, avait su bien gérer sa malédiction de lycanthrope. Même s'il avait été incapable de le soigner complètement de cette maladie qui pourrissait sa vie, il lui avait concocté des potions magiques qu'il devait boire tous les soirs, une semaine avant le moment fatidique. Une gorgé par jour, et tout ce qui restait du flacon à la pleine lune. Ça l'empêchait de se transformer, mais il était tout de même dominé par ses pulsions meurtrières et cette étrange envie de hurler comme un loup. Au moins, il était aussi plus faible et étourdit. Chris s'amusait à dire qu'il ressemblait à un ivrogne. Ça le faisait marrer, alors qu'il tenait Leerian dans ses bras pour l'empêcher de bouger et que celui-ci se tortillait pour lui mordre le cou.

C'était peu, mais c'était mieux que rien. De ça, il pouvait être reconnaissant envers le djinn, même s'il le soupçonnait de ne pas essayer aussi fort qu'il pourrait pour enrayer complètement sa maladie. Il disait que c'était une malédiction magique, trop magique pour ce qu'il arrivait à faire à lui seul. Là-dessus, Leerian lui avait demandé pourquoi il ne ramenait pas quelques autres de ses collèges... sur quoi Chris avait pouffé de rire et tourné les talons, sans répondre.

S'il y avait une chose pour lui remonter ne serait-ce qu'un tout petit peu le moral, c'était le fait que sa condition de loup-garou était demeurée cachée. Comment était-ce possible ? Leerian n'en savait rien. Depuis qu'il était enfermé ici, il avait très peu d'ambition, et garder le secret lui semblait être trop d'effort. Heureusement, personne ne l'avait accosté en demandant « êtes-vous un loup-garou ? », car il aurait probablement répondu d'un simple « ouais ». Il soupçonnait Chris d'effacer l'information de la mémoire de tous ceux qui le découvraient.

Malgré le temps passé, ça lui faisait toujours bizarre qu'un djinn s'occupe de lui. Ça lui donnait l'impression d'être quelqu'un d'important... comme un roi, mais dans le bon sens, pour une fois.

Un subtil bruit de pas fit sortir Leerian de sa contemplation. Il se redressa en regardant derrière lui, vers la porte ouverte de sa chambre. Un lutin se tenait là, un plateau dans les mains. Il avait la bouche ouverte, comme s'il s'apprêtait à signaler sa présence, mais l'elfe l'avait entendu d'abord. Après tout, il n'avait pas de longues oreilles pour rien.

— Votre thé, monsieur.

Sans un mot de remerciement, Leerian s'avança jusqu'à lui, puis dû se pencher pour atteindre la tasse. Le lutin dépassait tout juste ses hanches, et le plateau était au niveau des genoux. Il s'amusait presque en imaginant faire du stretching quand il prenait quelque chose que ces lutins lui tendaient.

La Légende de Nyirdall, Tome 2Where stories live. Discover now