Chapitre 6 : Aron

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Cayla me parle tout le long du trajet. Elle n'arrête pas de poser des questions et je me contente de répondre vaguement. Dans ma tête, c'est le chaos et ça me rend distrait.

La scène à laquelle j'ai assisté quelques minutes plus tôt se répète encore et encore dans mon esprit. Comment Cayla a-t-elle pu entrer dans notre salle des sacrifices ?

La question m'obnubile. Elle dit que la porte était ouverte, mais c'est impossible. Nous ne laissons jamais cette entrée ouverte, excepté lors des rituels. Et encore moins lorsque l'on sait que les humains peuvent tomber dessus à tout moment.

Je ne peux pas la croire. Elle ment, c'est certain.

Je fronce encore davantage les sourcils, en me souvenant de son excuse. Elle me dit avoir suivi une musique, mais là encore, je ne vois pas comment cela pourrait être vrai. J'étais là et je n'ai rien entendu, moi.

Lorsque je suis arrivé, c'était le silence absolu... Pas un seul bruit et encore moins celui d'un instrument quelconque.

Plus j'y pense, et plus la situation de Cayla devient suspecte. Ma méfiance grandit de seconde en seconde.

Elle cache quelque chose.

Et si cette petite humaine était en train de me manipuler ? Ma mâchoire se contracte en y pensant, mais c'est une possibilité.

Peut-être que les humains ont commencé à se rendre compte de la supercherie et peut-être ont-ils décidé d'envoyer un espion chez nous pour enquêter... Cela me rend fou d'imaginer ces êtres pathétiques capables de voir au-delà de nos masques, mais nous serions encore plus idiots de ne pas les en croire capables...

Nous sommes les prédateurs, et eux, le gibier. Cependant, ce n'est pas parce qu'ils sont des proies qu'ils sont complètement démunis. Un animal blessé peut se révéler dangereux et il serait imprudent de les sous-estimer.

Je ne commettrai pas la même erreur que mon père.

Je ne laisserai pas mon arrogance m'empêcher de déceler la menace. Je dois redoubler de vigilance et perfectionner mes illusions et mensonges pour les rendre infaillibles. Car il se pourrait que quelqu'un de plus dangereux que prévu se trouve devant moi.

Ou pas. C'est possible également que l'humaine dise réellement la vérité et que quelque chose l'ai réveillée et amenée jusqu'ici... Je ne dois pas non plus négliger cette éventualité.

Argh.

Ma tête me fait un mal de chien avec toutes ses potentialités qui m'assaillent. Mes poings se serrent le long de mon corps, mais prenant une profonde inspiration, j'oblige mes muscles à se détendre. Je dois à tout prix garder le sourire sur mes lèvres pour ne pas éveiller les soupçons de la rouquine.

Quoi qu'il se passe, Cayla ne doit pas se douter de mes doutes. Rien ne doit transparaitre sur ma personne. Et puis...

Si elle dit la vérité, l'une des explications les plus sensées serait que la Faerie, elle-même, est à l'œuvre. Je ne peux pas imaginer qu'une telle hérésie soit possible, mais si c'était le cas, pourquoi donc notre Terre bien aimée tiendrait tant à emmener une humaine dans cet endroit sacré ?

Non. Impossible. Je ne peux pas l'accepter.

— Tout va bien ? me questionne la rouquine, déconcertée par mon silence prolongé.

« Merde », m'énervé-je contre moi-même. Je dois être plus concentré, bordel. Déplaçant à nouveau mon regard sur elle, je force les commissures de mes lèvres à s'étirer.

— Désolé, je suis un peu fatigué et j'étais perdu dans mes pensées.

Mon sourire parait être contagieux, car elle l'imite aussitôt.

— Je comprends. Moi aussi. Sans vouloir être méchante, ta sœur m'a épuisée, commente-t-elle, taquine.

Son commentaire ne m'étonne pas. Ce n'est pas un secret. Ma sœur est épuisante. Toutefois, je sens mes sourcils s'arquer en l'observant plaisanter avec moi. Est-elle sincère ou joue-t-elle un rôle en ce moment même ?

— Ça ne t'a pourtant pas empêché de sortir te balader hors de ta chambre, la piqué-je, sur un ton un peu trop suspicieux et sec à mon goût.

Je grimace intérieurement en me rendant compte de mon erreur. Aron, ressaisis-toi, bon sang ! Qu'est-ce que tu fous ?!

— J'étais vraiment éreintée, proteste l'humaine les sourcils froncés, mais la musique m'a réveillée. Elle m'a attirée et...

Mes sourcils se froncent.

— Et quoi ?

Son insistance au sujet de la musique m'intrigue.

— Je ne sais pas comment l'expliquer, avoue-t-elle en se mordillant inconsciemment la lèvre, son esprit ailleurs. Mais il fallait absolument que je découvre l'origine du bruit. Je n'arrivais pas à penser à autre chose qu'à trouver la source.

Mes muscles se tendent à nouveau. Ses paroles me font penser à la Faerie et aux coups qu'elle s'amuse parfois à jouer. Serait-il vraiment possible que Cayla soit sincère et que la Faerie l'ait conduite jusque là-bas ? Si notre Terre, notre essence même, est à l'origine de cette folie, alors cela expliquerait les portes ouvertes... Mais cela amènerait également son lot de questions.

Il faudrait que j'en parle aux autres, surtout à notre roi et reine. Si la Faerie se met à jouer contre nous, c'est qu'il y a définitivement quelque chose qui cloche.

— Cette mélodie qui t'a attirée, est-ce que tu l'avais déjà écoutée auparavant ? l'interrogé-je, sur un ton désuet, en tentant tant bien que mal de cacher combien sa réponse peut être décisive.

Son front se plisse et elle s'arrête de marcher avec un air pensif.

— Oui, je pense l'avoir déjà entendue.

Ok. Mes épaules se relâchent un peu et je me retiens de soupirer de soulagement. Si elle a déjà écouté cette chanson sur Terre, alors ce n'est pas...

— Cela ressemblait à celle qui passait au banquet de ce soir, juste après le début du repas, précise-t-elle, perdue dans ses pensées. Oui, je pense que c'était la même chanson.

Mes muscles se raidissent et mes épaules se crispent une nouvelle fois. Merde. Elle entend la musique depuis qu'elle a mangé la nourriture fae. Cela ne peut pas être une coïncidence...

Nous avons définitivement un problème.

Cachant mon malaise, je projette un énième faux sourire sur mon visage et m'approche gentiment d'elle.

— Tu sais, si ma sœur te casse encore les pieds, tu peux toujours t'échapper et venir me voir. Je ne mords pas.

Pas encore.

Sombre FaerieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant