Enflamme ton âme

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La troisième lune...
Le démon se tenait face à nous, le poing enfoncé dans le sol, souriant.
Arrête de sourire...
Mon corps tremblait. Je n'arrivais pas à bouger, je ne pouvais que le fixer, la respiration sifflante. Quand son regard croisa le mien, son sourire s'accentua, et mes yeux s'humidifièrent. J'avais l'impression d'être revenue à cette nuit de cauchemar, seule avec ce monstre, incapable d'agir, sans pouvoir rien faire d'autre que pleurer et trembler.
Arrête...
Le regard doré du démon se plissa, et il disparut.
Où il est ?!
Il réapparu au-dessus de Tanjiro, toujours allongé au sol, son poing fermé s'apprêtant à lui broyer le crâne.
Non !!!

Souffle de la flamme, deuxième mouvement
FLAMMES DU SOLEIL ASCENDANT

Une attaque de flammes divisa en deux le bras qui allait s'abattre sur Tanjiro, et le démon s'éloigna en deux sauts de nous trois. Il rassembla en un instant les deux parties de son bras qui se régénérèrent presque aussitôt.
Il se régénère tellement rapidement ! Je n'arrive même pas à le voir bouger !
- Beau sabre.
La pression qui m'écrasait s'intensifia quand j'entendis de nouveau sa voix.
Je peux pas rester immobile encore une fois...
Je me plaçai devant Tanjiro, relevant mon sabre qui tremblait sous ma poigne fébrile.
- Je ne comprends pas pourquoi tu t'en prends à un blessé. parla Rengoku, le regard brûlant.
- Parce que je voudrais discuter avec vous deux, répondit le démon, et il va nous déranger.
Tanjiro s'était redressé sur les genoux, et j'écartai mon bras, cherchant à camoufler le garçon derrière moi. La colère, sans remplacer la peur, commença à envahir mon être.
- De quoi pourrait-on bien discuter ? demanda le pilier, Personnellement je ne te connais pas, mais je te hais déjà.
- Ah oui ? Moi aussi, je déteste les gens faibles. Rien que les voir me répugne.
Son sourire ne quittait pas son visage, mais ses mots étaient remplis du même mépris qui m'avait transpercée il y a deux ans.
Je suis faible moi aussi. Je ne suis pas plus forte que Tanjiro, alors pourquoi tu m'épargne à chaque fois ?
- Toi et moi n'avons donc pas le même sens des valeurs.
Le démon souri un peu plus avant de reprendre.
- Mais j'ai une superbe proposition pour toi. Que dirais-tu de devenir un démon ?
Je me figeai.
Il veut remettre ça ?
- J'ai déjà posé la question à (t/p), continua le démon en me jetant un coup d'œil, Mais je n'ai toujours pas eu de réponse de sa part. C'est une bonne chose que je la revois en même temps que toi, vous allez pouvoir me répondre tous les deux.
Je voulais lui hurler de la fermer, que jamais je n'accepterais son offre stupide, mais les mots étaient coincés au fond de ma gorge, ils ne pouvaient pas sortir.
- Je pense pouvoir parler en nos deux noms en refusant catégoriquement ta proposition, trancha fermement Rengoku sans quitter la lune des yeux.
Pour confirmer ces paroles que je n'avais pas réussi à dire à voix haute, j'hochais la tête, le corps un peu moins tremblant maintenant.
- Je vois d'ici la puissance que tu renfermes, observa le démon en plissant les yeux, sans se démonter par ce refus clair, Tu es un pilier. Ta combativité est remarquable ; à deux doigts de la transcendance.
- Je suis le pilier de la flamme, Rengoku Kyojuro.
- Moi c'est Akaza.
Des frissons parcoururent mon corps.
Akaza...
- Kyojuro, enchaîna Akaza, laisse-moi t'apprendre pourquoi tu n'atteindras jamais la transcendance. Parce que tu es humain ; tu vieillis et tu vas mourir.
Il tendit sa main ouverte.
- Deviens un démon Kyojuro. Ça te permettra de t'entraîner pendant encore 100 ou 200 ans, et tu seras plus fort.
J'avais le souffle coupé. Ses paroles, ses gestes, son apparence, sa voix, tout me donnait l'impression d'être de retour deux ans en arrière, lorsque le bonheur qui me restait m'avais été pris. J'avais l'impression que rien n'avait changé, que j'étais exactement la même qu'auparavant, que tout le chemin parcouru venait d'être effacé d'un seul coup.
Tous les efforts que j'ai fait n'ont servi à rien ? Je m'étais pourtant promis de le tuer... Pourquoi ?
- Vieillir et mourir, c'est là la beauté d'une vie éphémère. C'est bien parce qu'on peut vieillir et mourir qu'on chérit la vie et qu'elle nous est précieuse. La force ne se mesure pas uniquement à la puissance physique. Ce garçon n'est pas faible, ne l'insulte pas.
Je tressaillis face à ces mots et tournai la tête vers le pilier de la flamme, qui venait de les lâcher d'une voix assurée, le regard déterminé.
Rengoku-san...
- Je te le répète, continua-t-il d'une voix forte, toi et moi n'avons pas le même sens des valeurs. Je ne deviendrai un démon pour rien au monde !
Sa détermination est sans faille... Il a bien fait comprendre qu'il n'y avait pas de négociation possible.
J'orientai mon regard vers le démon qui ne souriait plus, un air lassé sur le visage.
- Soit. répondit-il d'une voix froide en plissant les yeux.
Il adopta soudain une posture de combat, écrasant le sol de ses pieds. Sa présence n'en devint que plus pesante, et menaçante à un niveau que je n'avais encore jamais ressenti.
- Puisque tu refuses, meurs. railla-t-il avec un grand sourire aux lèvres.
Il va attaquer !
Avant que je n'aie le temps de comprendre, Rengoku se propulsa contre le démon, et le combat commença, dans des nuées de lumières rouges et bleues.
Je n'arrive pas à les voir !
Les deux adversaires bougeaient à une telle vitesse que je ne percevais aucun de leurs déplacements. Leurs cris étaient couverts par les bruits des coups échangés, et l'action se déroulait à un niveau duquel j'étais encore très loin. J'étais complétement perdue, la situation m'échappait totalement. Même Inosuke, qui nous avait rejoint, restait immobile, des sueurs froides perlant le long de son corps.
On ne peut rien faire...
Je me redressai debout. Mon cœur battait tellement vite que je le sentais au bord de me lâcher.
C'est donc ça, la force d'une lune supérieure...
Le nom de ce démon rejaillit dans ma mémoire.
C'est donc ça, sa force à lui...
Soudain, le silence revint. Les coups ne retentissaient plus, et personne ne parlait.
- Il a réussi ? s'exclama Inosuke en tentant de distinguer quelque chose derrière le nuage de poussière, Il a gagné ?
Rengoku-san...
Le pilier finit par apparaître, nous tournant le dos, respirant lourdement.
Il va bien ?
Du sang tomba alors sur le sol, formant une toute petite flaque aux pieds de l'homme.
Non...
Les murs de ma maison ressurgirent dans mon esprit, et l'image de mon père se superposa par-dessus le corps de Rengoku. Sa main tremblait.
Ça ne va pas recommencer ?
- Combattons encore.
J'aperçu Akaza qui se relevait, ses blessures ayant complétement disparu.
Arrête...
- Ne meurs pas Kyojuro.
Arrête ça...
Je voulus avancer, me précipiter entre eux, mais Inosuke m'en empêcha en me retenant par la taille.
- Tu vas te faire tuer, s'exclama-t-il, la voix tremblante, Ça l'aidera pas !
- Mais il faut qu'on fasse quelque chose ! m'écriai-je avec colère, les larmes aux yeux.
- On a pas le niveau !
Le garçon crachait ces mots, comme si les prononcer lui coûtait beaucoup.
- Tout ce que tu réussiras à faire en y allant, c'est le gêner et crever inutilement !
Ses deux dernières phrases me figèrent sur place. Qu'Inosuke, le pourfendeur qui aimait se vanter d'être le plus fort et qui voulait se taper contre tout le monde sans réfléchir, que ce soit lui qui dise ça me bouleversa profondément.
Il a conscience de la gravité de la situation, bien plus que moi... Il voit bien mieux le gouffre qui nous sépare d'eux et que nous ne sommes pas près de franchir...
Je me tournai de nouveau vers la lune supérieure et le pilier, qui n'avaient pas bougé, le démon fixant son adversaire humain, un air presque désolé sur le visage.
- Tu auras beau tout tenter pour trancher ma chair, ça ne servira à rien Kyojuro, dit-il en plissant des yeux, Tes attaques étaient sublimes, et pourtant je m'en suis déjà remis. Mais toi, regarde-toi ; œil gauche crevé, côtes brisées, organes internes endommagés, c'est irréparable.
Il écarta les bras, balayant l'air de ses mains.
- En tant que démon tu guérirais en un clin d'œil ; ça ne serait rien de plus qu'une égratignure, continua-t-il, Quoi que les humains fassent, ils nous resteront inférieurs.
Je veux l'aider...
Je serrai ma main sur la garde de mon sabre, le corps tremblant.
Mais mes forces sont pratiquement parties... J'ai déjà du mal à marcher à cause de mes blessures, et la peur me paralyse.
Soudain, la présence de Rengoku s'intensifia d'un seul coup, comme un début d'incendie.
Quoi ?
- Tu es têtu Kyojuro... soupira Akaza sans cacher sa surprise.
- C'est mon devoir, et je l'accomplirai quoi qu'il advienne ! s'exclama le pilier en se mettant en garde, sabre levé au-dessus de l'épaule, Je ne laisserai personne mourir ici !
Son aura de puissance éclata soudainement, et il se propulsa dans un cri vers le démon encore et toujours souriant, creusant un cratère derrière lui.
Quelle force !
De la poussière et un tourbillon entourèrent les deux adversaires, nous laissant à Tanjiro, Inosuke et moi uniquement leurs cris pour comprendre ce qui se passait.
Je ne vois rien bon sang !
Le nuage de poussière commença alors à se disperser alors que le silence revenait dans le paysage que le soleil allait bientôt éclairer.
Rengoku-san !
J'avançai d'un pas, écarquillant les yeux pour discerner la silhouette de l'homme.
Je le vois !
Puis la poussière tomba complétement, et je poussai un hurlement d'horreur.
Non... Non !!!
Le bras de la troisième lune supérieure traversait l'abdomen du pilier de la flamme.
Pitié non !!
- Tu vas mourir, ça va t'être fatal Kyojuro ! s'écria le monstre en régénérant les lourdes blessures que lui avait infligé son adversaire, Deviens un démon ! Dis-moi que tu acceptes ! Tu fais partie des puissants guerriers élus !
Mais ferme-la salopard !!
Une montée d'adrénaline jaillit dans mes veines et, poussée par la colère qui venait de remplacer la peur, je me mis à courir vers les deux adversaires, mon sabre profondément ancré dans ma main. Rengoku abattit soudain sa lame rouge contre la nuque du démon, progressant à presque la moitié de son cou, et poussa un énorme cri.
Il n'abandonne pas, il lui reste des forces !
Akaza voulu lui donner un coup de poing avec le bras qui lui restait, mais le pilier le bloqua de son autre bras, sans cesser de s'enfoncer dans la chair de la lune.
On peut le faire ! Il ne faut pas qu'il s'en sorte !
Inosuke me doubla rapidement et sauta pour perforer la tête du démon, qui ne souriait plus. Il dégagea ses bras de la prise de son adversaire et se propulsa dans les airs, une expression nouvelle sur le visage.
Il sait qu'il est passé proche de la mort...
Le soleil commençait en effet à éclairer le lieu de la bataille de ses rayons, et, lorsque je croisai le regard écarquillé de la lune, je ressenti la peur dans sa marque. À ce moment-là, il n'avait plus rien du monstre qui me semblait invincible. Il était vulnérable. Vulnérable, et mortel.
Il régénéra ses bras et se propulsa dans la forêt qui bordait l'endroit où le train s'était écrasé, poursuivi par Tanjiro qui, arrivé à l'entrée du bois, lança son sabre qui se planta dans le torse du démon.
- T'enfuis pas sale lâche ! hurla le garçon de toutes ses forces, Reviens ici !!
Je le rejoins juste à temps pour voir Akaza disparaître dans les ténèbres, alors que le soleil finissait de se montrer.
Cette fois, c'est lui qui s'est enfui...
- Les pourfendeurs combattent toujours de nuit, à votre avantage ! continua malgré tout de crier le garçon, Malgré nos corps de chair ! Nos blessures ne se régénèrent pas, et nos membres ne repoussent pas !
Il serra les poings et hurla de plus belle.
- T'enfuis pas, abruti ! T'es qu'un incapable et un dégonflé !
Je fixais mon ami, qui criait et expulsait toute la haine qui l'envahissait. Moi, je n'y arrivais pas. Tout était coincé au fond de mon être, j'étais incapable de dire ou de faire quoi que ce soit. Je ne pouvais qu'observer, encore et toujours impuissante.
- Rengoku-san est largement supérieur à toi ! hurla Tanjiro, C'est lui le plus fort ! Il n'a pas perdu ! Il n'y a eu aucune victime ! Il a combattu et protégé tout le monde ! C'est toi le perdant ! C'est Rengoku-san qui a remporté ce combat !!
Il s'arrêta, essoufflé, la respiration sifflante, avant de pousser un ultime cri, qui se changea en sanglot alors qu'il s'écroulait à genoux, le corps secoué par les torrents de larmes qui jaillissaient. Mes jambes tremblaient tellement que je fus incapable de tenir debout plus longtemps, et je m'écroulai sur le sol, mes yeux libérant les larmes qui n'avaient pas coulé jusqu'à maintenant.
- Ne cries pas autant.
Je me retournai. Rengoku nous regardait, un doux sourire aux lèvres.
- Tes blessures vont se rouvrir, continua-t-il en désignant Tanjiro du menton, Et elles ne sont pas bénignes.
C'est vraiment ce qui va se passer ?
- Si l'un de vous meurt, j'aurais véritablement perdu.
- Rengoku-san... sanglota Tanjiro.
Je n'arrivais pas à parler. Ma gorge n'acceptait de sortir que les sanglots qui secouaient mon corps.
- Approchez tous les deux, nous invita le pilier d'une voix douce, Je voudrais vous parler avant la fin.
Je relevai Tanjiro et le soutenais pour l'asseoir face à l'homme, avant de moi-même m'agenouiller aux côtés du garçon.
- Je me suis souvenu d'une chose en revoyant mon passé en rêve, expliqua le pilier, Jeune Kamado, tu devrais te rendre chez moi, au domaine Rengoku. Tu y trouveras les mémoires des précédents pilier de la flamme. Je n'y ai jamais touché, alors je ne sais pas ce qu'elles contiennent, mais la fameuse danse du dieu du feu dont tu m'as parlé y est peut-être mentionnée...
Le bras du démon qui était resté dans le corps de l'homme se désintégra sous les rayons du soleil, et le sang s'étendit à travers son uniforme.
- Rengoku-san, bredouilla Tanjiro, ça suffit, concentrez-vous sur vos blessures. Pouvons-nous empêcher l'hémorragie ?
- Non, répondit le pilier avec calme, C'est terminé, je suis condamné.
Ces mots avaient été prononcés avec tellement de sérénité qu'ils déclenchèrent chez moi un nouveau déluge de larmes.
On ne peut rien faire... J'aimerais tellement pouvoir dire quelque chose...
Rengoku demanda par la suite à Tanjiro de transmettre ses dernières paroles à son père et à son petit frère Senjuro.
- J'ai foi en ta petite sœur, continua-t-il, Elle est une pourfendeuse à part entière. Dans le train, je l'ai vue verser son sang pour secourir les gens. Quelqu'un qui risque sa vie pour protéger autrui des démons, quoi qu'en disent d'autres, est un pourfendeur.
Je regardai, impuissante, l'hémorragie s'étendre jusqu'à former une flaque de sang autour du corps du pilier.
Il croit en Nezuko... Il l'a acceptée...
- Une dernière chose. Jeune Oyomi.
Je redressai la tête, plongeant mes yeux mouillés dans le regard doré de Rengoku.
- Ne te rabaisse pas, déclama-t-il, Tu es aussi humaine que nous, quoi que certains puissent en dire.
Je me figeai, les larmes dévalant mes joues de plus belle.
- Garde toujours la tête haute, continua l'homme avant de s'adresser à nous tous, S'il vous arrive d'être submergés par vos peurs et vos faiblesses, enflammez votre âme. Serrez les dents et avancez. Si vos jambes ploient et vous immobilisent, le temps, lui, ne s'arrêtera pas. Il ne vous étreindra pas pour partager votre peine.
Son sourire ne quittait pas ses lèvres. Il ne semblait nullement perturbé par sa mort prochaine.
- Ne laissez pas ma mort vous troubler. Il est naturel pour un pilier de s'interposer devant ses protégés. N'importe lequel d'entre nous aurait fait pareil. Nous protégeons nos jeunes bourgeons. Jeune Kamado, jeune Oyomi, jeune tête de sanglier et jeune garçon jaune... Continuez à progresser. Et plus tard, vous serez les piliers des pourfendeurs. J'en suis persuadé. Vous avez toute ma confiance.
Il faut que je dise quelque chose...
Je baissai la tête, étouffant un autre sanglot, et serrai les poings, luttant pour faire jaillir les mots qui me brûlaient la gorge.
- M-merci...
J'avais fermé les yeux, je voulais réussir à parler avant la fin.
- Rengoku-san... Merci pour tout...
J'entendis alors ce qui ressemblait à un petit rire et redressai la tête. Rengoku avait fermé les yeux et ses lèvres s'étiraient d'un grand sourire rempli de chaleur.
Sa marque ne brille plus.

KIMETSU NO YAIBA : Les liens tissés par le temps (Girl Version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant