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Vagabond

Son ventre gargouilla. Un gargouillement qui lui faisait mal. Un gargouillement qui lui disait « tu n'as pas mangé depuis longtemps ». Et son ventre ne mentait pas : il n'avait pas mangé depuis trop de jours. Son dernier repas remontait à quand ? Deux jours ? Trois peut-être. C'était quoi déjà ? Rien de bien marquant s'il ne s'en souvenait pas. 

Essayant d'ignorer le nouveau son que son estomac vide sortit, il se leva et sortit de la petite rue sombre dans laquelle il se trouvait. Les rayons du soleil, malgré les nuages grisâtres au-dessus de la ville, parvinrent à l'éblouir. Il avait passé trop de temps dans cette rue, à simplement attendre que les minutes passent. 

Un bâillement lui étira la mâchoire. Il devait se bouger, il était grand temps qu'il avale quelque chose. De son regard légèrement dissimulé derrière ses cheveux longs et sales, il chercha où il pouvait aller. Il regarda à droite : des rues humides, vides de passants, peu attirantes, une odeur indescriptible - certainement un mélange d'urine, de déchets en tout genre abandonné là et d'humidité -, un tout qui ne lui décrocha une grimace. 

Sur sa gauche, il savait que, une fois le pont permettant de traverser la Rive franchi, c'était plus accueillant : des rues propres, plus lumineuses, personnes affalées contre un mur dormant à moitié, une certaine richesse évidente qui se dégageait de chaque décoration, de chaque bâtiment. 

La différence entre les deux parties de Zownorha était flagrante et ne choquée plus personne. Seule la Rive, long fleuve aux eaux marron, séparées les deux côtés. Les riches et les pauvres, ils étaient bien présents, et chacun rangé de son côté. Tous faisaient partie de la même ville, mais ils ne se mélangeaient pas. Ceux nés du bon côté, seraient dégoûtés en mettant un pied de l'autre. Et ceux du mauvais côté rêvaient d'aller de l'autre, sans pouvoir le faire malgré les ponts permettant de traverser le Fleuve. 

Lui, l'enfant sans nom, se demandait souvent pourquoi ceux vivant dans le grand Château, avaient laissé une partie de la ville - de SA ville - sombrer ainsi. Il n'avait pas la réponse à cette question et il ne l'aurait sans doute jamais. C'était ainsi et cela ne changerait sans doute jamais. 

Il regarda fixement ce simple pont qui lui permettait de traverser avec l'eau à la bouche. Du haut de ses sept ou huit ans, il savait parfaitement que la meilleure nourriture qu'il trouverait, cela serait de l'autre côté. Même s'il se nourrissait peu, entre-autre parce qu'il avait du mal à trouver ce qu'il fallait, il pouvait affirmer sans peine que de ce côté-là de la Rive tout était infâme. Il ne pouvait pas dire que c'était sans goût, il y en avait bien un : celui de la moisissure. Que ce soit ce qu'il trouve dans les poubelles ou ce qu'il parvenait à voler, tout avait ce même goût pourrit significatif de ce côté-là. 

Pour une fois, il avait envie de manger quelque chose de bon. Pour une fois, il avait envie de découvrir de nouvelles saveurs. Était-ce un rêve idiot d'un enfant de la rue ? Sans doute. Allait-il essayer de le réaliser, quitte à se mettre en danger pour cela ? Évidemment. Il n'avait rien à perdre. Personne ne l'attendait dans ses rues sombres. Personne n'était là pour lui dire que c'était une mauvaise idée. Il n'y avait que son ventre qui réclamait quelque chose. 

Plein d'assurance, il mit un premier pied nu sur le pont. Personne ne l'arrêta. Pas après pas, il le franchit. De l'autre côté, personne ne le renvoya non plus. Il n'y avait pas besoin de gardes aux ponts. Chaque personne du mauvais côté savait qu'il n'était pas prudent de traverser et par conséquent, ne s'y risquaient pas. Il n'y avait que des personnes assez affamées et stupides comme lui, pour commettre cette erreur-là.

Regardant sans cesse autour de lui, essayant de dissimuler sa crasse et ses haillons dans l'ombre des murs, il continua de marcher dans ses rues si différentes de celles qu'il connaissait. Dans sa tête d'enfant, il ne commettait aucun crime. Il se disait simplement que, pour une fois, il avait envie de goûter un peu au luxe. Car oui, pour lui, un simple bout de pain non rassis était un véritable luxe. 

Lys et VagabondOù les histoires vivent. Découvrez maintenant