Chapitre 5 : Un double et des phases

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J'ai sur mes genoux mon ordinateur portable, ouvert sur les messages de l'administration de l'université. Un mélange de tout et de rien, entre avertissements quant à la maintenance future du site, et publicités. Entre eux se trouve celui que les chercheurs attendent, que je lis à l'instant – le combat des alphas aux dix années d'études dans la poche, le concours d'éloquence des enseignants-chercheurs. J'ai un sourire désinvolte. La liste des compétiteurs n'est pas encore visible, seulement la date. Vendredi prochain, à dix-huit heures. Émilie souhaitera sûrement s'y rendre... pour se moquer.

L'écran de mon portable est resté allumé toute la nuit sur le message d'Hugo.F. Je ferais ma malpolie, en y répondant plus tard. J'entends ma mère s'activer dans le salon, elle partira certainement en trombe, comme à son habitude. Je sors lentement de mon lit. Quand elle me voit, elle affiche un grand sourire.

— Bonjour ma chérie, elle lance en cherchant ses clés sur le buffet et j'y réponds en la regardant s'agiter. Est-ce que tu pourras aller chercher mon colis à la librairie, s'il te plaît ? Tu sais, pas très loin de la Fnac ?

— Ouais j'irai, après mes cours.

Elle dégotte le trousseau, le brandit et accourt me déposer un bref baiser sur le front.

Ma mère n'a jamais su calmer sa bibliophilie. « Ce qu'il y a de plus profond, d'interdit, d'inviolable, ce qui nécessite la pudeur absolue – c'est l'âme. L'âme seule. Un personnage, un lecteur, des personnages, des lecteurs. D'une part, ceux qui comptent l'Homme comme dieu. Ceux dont l'existence n'a d'intérêt que pour une minorité ciblée. Ceux dont l'habitat est de papier. D'une autre, ceux qui créent. Le lecteur est une fusion du personnage et de l'auteur – il se laisse guider et construit, en même temps. » C'était ce qui figurait sur le petit morceau de papier, coincé entre les pages des Misérables. Elle tend vers les classiques français, le mal du siècle romantique, l'exile. Sans doute souffre-t-elle, aussi, du mal de la vie, depuis sa séparation avec mon père.

Nous étions soudés, nous nous aimions. Nous nous aimions jusqu'au jour de cette rencontre. Nathalie est venue bouleverser mon univers, saccager celui de ma mère, égayer celui de mon père. Père qui, depuis quelques temps désormais, nous a radiées. Nous n'existons plus. Je sais seulement qu'il mène une vie tranquille dans le sud de la France, avec sa nouvelle femme, et leur fils. Un événement brutal, lamentable, qui aura valu près de six mois de suivi à ma mère. Elle est esthéticienne, et, vendeuse à domicile. Cela fait trois ans.

*
* *

Ce que le temps est lourd, aujourd'hui. Si lourd. Oxygène, où es-tu ? L'humidité t'aurait-elle capturé ? Tu manques. Je m'enfonce dans l'espace vert, me dirigeant vers le bâtiment des amphithéâtres. J'ai mon sac sur le dos, et je suis inquiète de n'en voir aucun. Le campus n'est pas très vivant. Pourtant, vers les coups de onze heures, les étudiants se ruent vers la cantine. Sans me questionner davantage, je parviens à la grande porte blindée et décide de l'ouvrir.

Verrouillée.

Je retente. Un second échec.

Il n'y a pas un chat. Je me retourne, l'air stupide, regarde au mieux par la grande vitre, découvrant avec stupéfaction l'absence du personnel, des femmes de ménage. Les lumières sont éteintes, le ciel gris n'aide pas.

— C'est pas possible, balancé-je dans un soupir.

Ma montre affiche dix heures. La seule personne à pouvoir m'ouvrir est le concierge. Si je presse le pas, il me sera possible de limiter mon retard. Alors, je contourne le grand bâtiment et empreinte la pente, menant au petit cabanon. Des voitures parsèment le parking, face à la foret. Parmi elles, un SUV noir, imposant. Je n'y prête pas davantage d'attention, trop occupée à réguler mon souffle. Mon souffle qui commence à se saccader. Une fois parvenue à hauteur de l'antre du concierge, j'inspire profondément, avant d'abattre mon poing contre la porte.

MEET MEWhere stories live. Discover now