Chapitre 9 : Bouquet de muses

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Quelle grandeur rend l'homme vulnérable ?

Quelle grosseur ? Quel poil ? Quelle
couleur ?

Qui est des yeux le plus emmielleur ?

Qui fait plus tôt une plaie incurable ?
Quel chant est plus à l'homme convenable ?

Qui plus pénètre en chantant sa douleur ?

Qui un doux luth fait encore meilleur ?

Quel naturel est plus aimable ?

Je ne voudrais le dire assurément,

Ayant Amour forcé mon jugement ;

Mais je sais bien, et de tant je m'assure,

Que tout le beau que l'on pourrait choisir,

Et que tout l'art qui aide la Nature,

Ne me sauraient accroître mon désir.

Louise Labé, Pernette Du Guillet, Œuvres Poétiques, Poème XXI.

***
Flashback.

Trois ans auparavant.

S'il te plaît.

Au creux de mon oreille, une petite fée narre un terrible récit. Le récit d'une chair décevante, dévorée et trouée par les vers. Une chair verdâtre, pourrie. Elle me susurre : « dans le rébus de son appétit, petite Rose, tu es la pièce qu'il déplace à sa guise. Ne vois-tu pas que les autres pièces ont cessé de se laisser transporter ? À quoi joues-tu, petite Rose ? Dis-moi à quoi joues-tu, exactement. File, avant qu'il ne soit pas trop tard. Oh, mais il est trop tard. De sa peau s'évaporent d'inquiétantes volutes, ne les vois-tu donc pas, petite Rose ? Dans les airs, elles dessinent ton chagrin futur, la lourdeur de tes sanglots, les images sordides qui te hanteront, te détruiront, pour le restant de ton existence.

Trop tard.
Trop tard.
Trop tard. Ma conscience, la fée, je ne l'écoute qu'au dernier moment. L'épée de la culpabilité me transperce. Je suis finie. Victor me domine, il est n'est plus renversable. Mon cerveau est retourné, et j'ai froid. J'ai froid de crainte. Je vois mon monde s'écrouler, sachant pertinemment que je ne peux plus reculer, au risque de le perdre. Je ne veux pas le perdre. 

Et ça empeste le désinfectant à l'orange. Cette chambre est une fournaise, prête à accueillir un huis clos sordide. Une virginité arrachée par un démon manipulateur. Je nage dans ce grand lit, pourtant, je ne peux m'empêcher de m'y trouver trop à l'étroit. Les coudes du châtain entourent mon visage. Il est prêt à bondir, à ne faire qu'une bouchée de ce que je m'efforçais de couver durant toutes ces années. Un souvenir d'enfance, quelque chose qui, je le voulais tant, m'aurait gardée dans cet âge de jeune fille.

J'ai pas envie, Victor, balbutié-je d'une petite voix.

Son regard s'assombrit.

Tu te fous de moi ? Il hausse le ton en se redressant. Tu m'as promis qu'on le ferait, j'ai réservé une chambre d'hôtel exprès pour ça !

Victor, arrête... je ne t'ai rien promis.

Non, il gueule, tu m'as juste dit que tu te sentais prête !

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