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Le meurtrier se tenait droit comme un I dans l'embrasure et ne semblait porter aucune séquelle des coups qu'il avait reçus. Le regard fou, il cherchait ce qu'on lui avait dérobé.

Personne ne l'entraverait dans sa quête, il se l'était promis. Il avait ôté la vie à l'un de ses frères et serait prêt à recommencer si un autre individu se dressait sur son chemin. Ces gamins n'étaient que des dommages collatéraux. Ils auraient dû s'enfuir la mort aux trousses. Mais, non, il avait fallu qu'ils fourrent leurs nez dans des affaires qui ne les regardaient pas. Sales fouines !

Dans l'église, ils étaient à présent cernés. Aucune échappatoire. Aucun salut. Le tueur du Père Noël ressentait presque une joie malsaine de les voir pris au piège. Avec une lenteur infinie, il referma la porte derrière lui et leva les yeux vers les cieux, remerciant son saint patron de l'avoir guidé jusqu'aux voleurs. Sa volonté sera faite, il en avait prêté le serment.

Son âme comme ses actes lui étaient entièrement voués. Sous ses épaisses couches de vêtements, son corps arborait une étrange mosaïque. Inscrits à l'encre noire, les sermons tatoués sur sa peau étaient le fruit de plusieurs heures de travail. Selon lui, ils lui conféraient une puissance que les incultes ne pouvaient connaître. Un bien qui le transcendait et dépassait l'entendement des impies. La foi.

Dans un murmure inaudible, il répétait son adoration au saint. Sa langue sifflait entre ses dents comme celle d'un serpent sur le point de mordre, ses lèvres se tordaient en un rictus. Les mots latins claquaient contre son palet, prenant de l'ampleur. Maintenant, ils résonnaient dans l'église tel un chant liturgique. Toutefois, le fanatique ne célébrait pas un culte. Il invoquait le pardon du Tout-Puissant.

Il allait pécher. Encore.

Le vent glacial de décembre n'avait pas fait que virevolter les lettres que feuilletait Elijah. Il avait amené sur son passage l'effroi. Ce sentiment enflait dans l'air, diffusant son odeur fétide. Il avait pris à la gorge les adolescents dont le rythme cardiaque s'était accéléré à l'unisson. Le ventre noué, ils regardaient maintenant la silhouette sombre entrer dans un tourbillon de flocons, qui les fit frissonner.

Cameron fut la première à réagir. Elle se baissa pour ramasser les feuilles volantes et les rassembler à la hâte dans le porte-documents. Elle ne prit pas garde à ne pas les plier, ni ne les replaça selon l'ordre chronologique d'après lequel elles avaient été classées. Tout ça lui importait peu. Une seule chose comptait. Il était hors de question d'abandonner les preuves matérielles qui permettraient à la justice d'établir une correspondance entre le meurtre, son agresseur et cette chose.

La poitrine bombée, elle ne se laissait pas intimider par la voix de ténor. Menace ou avertissement, elle n'en avait que faire. Sa main saisit avec chaleur celle d'Elijah, ce qui interpella ce dernier. L'espèce de rituel auquel s'adonnait l'homme au long manteau noir le fascinait, et il en avait presque oublié de respirer correctement. Les phrases s'élevaient comme le martèlement d'un tambour, prononcées dans une langue qui ressemblait à du latin mais qui ne l'était pas. Elijah tendit l'oreille avec l'espoir de reconnaître un terme, de deviner la teneur du propos. Sans succès.

Quant à Zachary, il regrettait son courage. Le gars qui marchait avec l'allure d'un prédateur dans l'allée centrale n'allait pas leur dire la messe. Une lueur meurtrière brillait dans ses yeux, et il jurait l'avoir vu plonger sa main dans l'une de ses poches où se devinait, à la forme pointue, un poignard. Bon sang, comment s'était-il fourré dans un pétrin pareil ? Et pourquoi s'était-il laissé guider par son instinct protecteur ? Il n'était pas ami avec ses voisins, les ignorait du mieux qu'il pouvait d'habitude.

Il s'entendit leur chuchoter d'un ton sarcastique :

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

Attendre son heure ou lutter jusqu'à son dernier souffle ? Ces questions sans bonne réponse lui filaient déjà la migraine. Il aurait préféré ne jamais se les poser.

— T'as une idée peut-être ? lui répliqua Elijah dont la peur mutait en impatience.

Les yeux du basketteur tombèrent sur la Bible. Il n'en avait jamais ouvert une et en avait nullement l'intention. Pourtant, il la prit en main. Un livre d'autant de pages, ça servait bien à quelque chose, non ?

— Vous me faites confiance ?

— Pas vraiment, lui répondirent Elijah et Cameron en chœur.

Et ils avaient on ne peut plus raison car le plan de Zachary craignait un max.

Une fois que le tueur atteignit la première rangée, il lui balança à la figure les saintes Écritures. Au même moment, il ordonna à Elijah et Cameron de s'enfuir. Le cinglé ne s'était pas écroulé comme il l'avait prévu dans son esprit, mais il fut suffisamment désarçonné pour ne pas s'apercevoir de l'impulsion de son adversaire. Le sportif, tout en muscles, se rua sur lui comme un lutteur pro. La tête la première et les abdos contractés, il le poussa sans ménagement contre le banc. Sous la cavalcade des corps déchaînés, les pieds du meuble en bois grincèrent sur le carrelage avant de buter contre la seconde rangée.

On aurait dit qu'une tornade avait élu domicile dans la nef. Le premier banc s'était retourné, le deuxième barrait désormais l'allée centrale et le troisième avait cogné celui de derrière. Certaines bibles avaient souffert de l'accrochage et n'étaient plus rangées à leur place. Mais elles n'avaient pas autant morflé que l'assassin et Zachary. Le premier, toujours étourdi après s'être cogné l'arrière du crâne, restait avachi au milieu du capharnaüm.

En ce qui concernait l'adolescent, c'était autre chose... Ses lombaires avaient amorti sa pirouette, et son abdomen avait bien encaissé les poings que lui avait administrés le fanatique dans leur corps à corps. Mais sa cuisse droite s'était frottée d'un peu trop près au tranchant de la lame qui avait tué le Père Noël. Du sang suintait de la plaie et coulait le long de sa jambe tandis qu'il courait jusqu'à la sortie.

Sur le parvis, Elijah et Cameron essayaient de ne pas s'inquiéter en l'attendant. Les policiers tardaient à arriver. Les quelques voitures qui passaient devant l'église ne ralentissaient pas, et les flocons redoublaient. Un blizzard s'installait sur le quartier.

Cameron qui grelottait accepta l'écharpe d'Elijah. Tremblant, il l'enroula autour de son cou et tenta de la rassurer :

— Tout sera bientôt fini...

Son pouce s'attarda sur sa joue pour en chasser une gouttelette, faisant naître un sourire sur ses lèvres.

— Promis ?

— Promis.

Elijah n'aurait jamais dû promettre une chose pareille. Rien n'était terminé, ce n'était que le début.

Les Frères NiklaussWhere stories live. Discover now