Flirt

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05 août 2035.

Pendant de longues minutes, j'ai repensé à toute ma vie, remettant mes décisions en question. De l'achat de mon premier manga à mon choix d'études. J'ai même versé quelques larmes. Je tente souvent de mettre mes problèmes familiaux de côté et j'y arrive la plupart du temps. Je ne suis pas quelqu'un qui s'appesantit sur le côté négatif des choses mais après cet appel, j'ai du mal.

Je renifle. Je dois me reprendre. Mid m'attend en bas et je ne peux pas arriver en pleurs. Nous ne sommes plus du temps où je courrais chez lui pour qu'il me réconforte. À presque vingt-six ans, je suis un adulte maintenant et je dois agir comme tel. Mais surtout respecter la volonté de ma sœur même si celle-ci consiste ni plus ni moins à me virer de sa vie.

Mes mains effacent les derniers vestiges de mes larmes et je me lève. Je sors de ma chambre et quand je commence à descendre les escaliers, j'entends Mid parler. Je fronce les sourcils. Contrairement à ce que je pensais, il ne dispute pas son personnage mais Iven. Ce dernier lui répond d'ailleurs :

— T'avais qu'à te barrer de là ! Je fais pas dans la dentelle, moi !

Mes yeux s'écarquillent. Mais qu'est-ce qui se passe ? Puis je les vois tous les deux une manette dans les mains, le regard fixé sur l'écran de télévision. Je suis rassuré. Je me dépêche de les rejoindre et m'installe à la gauche de mon colocataire. J'avise le classement et aucun doute, Iven met la misère à Mid. Je tapote le dos du futur vainqueur en criant :

— Détruis-le !

Je le fais rire. Mon pote de son côté râle en tentant de ne pas se prendre une carapace mais son kart tombe alors dans le vide.

— Yeah !

— Hey ! Pas de parti pris !

— Bah désolé, il est bien pris là, déclaré-je avant de grimacer à ma phrase.

Je secoue la tête et Iven me jette un coup d'œil. Vu son sourire, il est amusé. Je l'amuse. Je lève les yeux au ciel et lui ordonne :

— Gagne ! Comme ça, j'aurais ma revanche !

— Et j'y gagne quoi, moi ? demande-t-il.

Son ton se veut innocent mais c'est loin de l'être. Cela vient peut-être de moi et je me fais de fausses idées. Pourtant...

— Tout ce que tu voudras !

— Ne me tente pas comme ça, Nine !

Oh punaise, cette voix qu'il vient d'avoir. Elle n'avait rien d'innocent, c'est une certitude. Surtout quand je vois que Mid s'est fait mal en tournant la tête dans notre direction à l'écoute de notre échange. J'ai un petit sourire un coin, heureux. Je pousse alors encore un peu. Je me rapproche de lui, faisant bien exprès de laisser mon souffle caresser sa peau. Après une petite inspiration de son odeur, je lui chuchote à l'oreille :

— Rêve pas, je ne te dirai pas mon prénom.

Il rit et j'aime bien ce son. De plus en plus. Il met quelques frissons au niveau de mon estomac. Je soupire de bien-être.

— Je ne pensais pas vraiment à ça comme trophée, commence-t-il, en me jetant un autre coup d'œil rapide. Mais je finirai par le savoir, et tu me le diras de ton plein gré.

Je sais qu'il a raison. Ça ne fait pas dix jours qu'il est dans l'appartement qu'il me plaît déjà plus que de raison. Je ne me comprends même pas. Alors lui dire mon affreux prénom ne sera qu'une formalité dans peu de temps. Mais je ne m'épanche pas sur mes états d'âme, Mid crie comme s'il était au bout de sa vie :

— Oh mon dieu ! Non !

Sa manette atterrit de l'autre côté de son canapé et mon rire retentit en voyant ça. Je lève les bras en l'air en signe de victoire bien que je n'ai rien à voir avec sa défaite. Je n'attends pas et me dirige vers mon ami et sans réfléchir, réalise la même danse qu'il a faite tout à l'heure. Il me frappe de la même manière que moi et au lieu de me plaindre, je susurre :

— Oh oui ! Plus fort !

Je me tourne et mon regard accroche celui d'Iven. Il a lui aussi abandonné sa manette et a penché la tête sur le côté pour m'observer. À la vue de son air impassible, j'ai la sensation de prendre une douche froide. Je déglutis et m'installe à côté de Mid en essayant de me justifier :

— C'était... pour rire... je...

OKAY ! C'est une catastrophe.

— Intéressant, lâche-t-il finalement.

Un sourire en coin, il se lève et tend sa main à mon ami qui l'accepte dans la seconde.

— Merci pour la partie, ça faisait une éternité que je n'y avais pas joué !

— N'en rajoute pas une couche, mec ! maugrée-t-il.

Iven ricane avant de s'éloigner dans la cuisine. Mid donne un coup d'épaule dans la mienne et je me reprends.

— Alors comment va ton père ?

— Il va bien...

Si mon esprit est à la conversation, mes yeux, quant à eux, ne quittent pas le dos de mon colocataire qui semble se préparer un truc à grignoter.

— Il voulait me parler de Natalia.

— Oh !

C'est le seul son qui sort de sa bouche. Il connait toute l'histoire et sait à quel point c'est tendu entre elle et moi. Un instant, je me délecte des formes d'Iven, de ses muscles qui roulent au rythme de ses mouvements pour faire son sandwich mais surtout de son tatouage dans la nuque. Je le découvre enfin et je ne suis pas déçu.

Ce sont deux mains squelettiques qui viennent de son dos et qui semblent vouloir l'étrangler. C'est assez bizarre à première vue mais c'est tellement bien fait et... je ne sais pas. J'ai la sensation qu'il veut dire quelque chose de profond, de vrai. J'aime ce tatouage.

— Je vais être tonton ! annoncé-je enfin à Mid.

Il souffle un wow.

— Ouais, ça surprend. Et elle rentre définitivement à Édimbourg !

— Enfin jusqu'à ce qu'elle décide de repartir, nuance Mid.

Il est vrai qu'à vingt ans, Natalia a déjà pas mal bougé et a vécu dans plusieurs villes. Comme lorsqu'elle était jeune, elle est du genre à avoir la bougeotte. Elle semble penser que si elle reste trop longtemps au même endroit, elle va s'embourber dans la routine.

— Enfin élever un enfant seule va peut-être la calmer un peu dans les premiers temps !

Il hausse les épaules, peu convaincu.

— Mais ça sera peut-être l'occasion de vous réconcilier...

Il a eu la gentillesse de baisser le ton pour dire la fin de sa phrase.

— J'en doute !

— C'est sûr qu'avec cet état d'esprit, ça ne va pas s'arranger entre vous.

— Je n'ai plus d'espoir.

Mid m'a souvent conseillé de retourner voir ma sœur pour mettre les choses au clair et j'ai tenté des dizaines de fois avant et après mon départ pour Londres. Mais chacun de mes essais s'est soldé par un échec. Depuis presque deux ans, je me cantonne à faire ce qu'elle me demande soit rester loin d'elle. Il me caresse le dos amicalement pour me réconforter et ça me fait du bien. Je me sens tout de suite beaucoup mieux.

Mon regard se reporte dans la cuisine et je découvre qu'Iven a rangé tout son matériel et qu'il se dirige vers les escaliers une assiette et un verre dans les mains. Il nous fait un signe de la tête avant de monter les marches pour rejoindre sa chambre. Je laisse le haut de mon corps tomber sur les genoux de Mid tout en geignant.

— Sympa votre petit échange.

Je me contente de grogner pour simple réponse.

— Entre les sous-entendus, le flirt et le fait que je n'existais même plus pour vous... j'ai presque envie de dire, qu'est-ce que vous attendez pour vous sauter dessus ?

Je me redresse en levant les yeux au ciel.

— Arrête de raconter des bêtises ! C'est mon coloc !

— Oui, juste ton coloc', c'est ça, marmonne-t-il.

Je reprends ma manette et le défis :

— Allez ! Un autretournoi. Je n'ai fait que m'échauffer pour le moment !

stay with me. - idy 5Where stories live. Discover now