Chapitre 8 : Invitation

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Nous passons la porte du CDI, oubliant momentanément ma promesse de ne jamais y pénétrer, mais finalement la niaiserie de Valérie ne me semble plus aussi insupportable en comparaison des langues de vipère qui m'entourent. À présent que Adam a repéré Valérie pour lui remettre les précieux manuels qu'elle exigeait, je prends le parti de m'éclipser discrètement.

— M. Teissier ! me hèle-t-elle au moment de ma défection.

Je suis surpris qu'elle ait retenu mon nom de famille alors que je ne l'ai mentionné qu'une seule fois et qu'elle le préfère à mon prénom, mais j'imagine que la présence d'un élève justifie cette cérémonie.

— Oui ?

— Tu n'auras pas besoin de manuels pour tes élèves ?

— Si.

J'ai failli ajouter "évidemment" mais je ne veux pas me montrer trop hautain alors que c'est ce que je reproche à la moitié des collègues de l'établissement.

— Ah bon. L'ennui c'est que...

Elle s'interrompt, songeuse tandis qu'elle scanne le retour de livres de Adam. Je patiente, interloqué, qu'elle termine saphrase.

— Eh bien, Mme De Pondichéry m'a indiqué qu'il n'y en aurait pas assez pour toi...

— Mme De Pondichéry ?

— Voilà Adam, c'est terminé ! se réjouit Valérie en libérant le jeune garçon. Ce n'était pas si compliqué de ramener des livres.

— Oui, répond-il avec un air qui se veut éploré. Au revoir madame. Et monsieur, ajoute-t-il en amorçant presque un début de révérence.

Il ouvre la porte du CDI et je me pousse pour ne pas obstruer le passage lorsque Anaïs et Viviane font irruption dans la pièce.

— Je parlais de Céleste, finit par me dire Valérie. De Pondichéry, c'est son nom de famille. Je n'allais pas l'appeler par sonprénom devant des gamins quand même.

De nouveau, une rage violente remonte le long de ma trachée.

— Céleste t'a dit ça ?

Un voile opaque commence à obstruer ma vue et je sens mes battements de cœur résonner à mes tympans.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'intéresse Vivianne interloquée.

Je n'entends quasiment plus rien tant ma colère prend le dessus. Je tâche de garder le contrôle et je reprends le cours de la conversation.

— Bien sûr que si il y a assez de livres ! s'indigne Viviane. C'est n'importe quoi ! Je vais lui dire deux mots !

Là-dessus, avant même que je ne puisse la retenir, elle détale du CDI, exaspérée. Tout ce que je voulais éviter. Je ne doute pas de sa sincérité mais je sais me défendre seul. Sauf que... Je n'avais pas l'intention de me défendre. Les actions puériles de Céleste étaient purement gratuites. À présent, tout le monde allait penser que je divisais les collègues. Que j'avaisbesoin d'être protégé par la matriarche légèrement instable de l'établissement.

À la fois dégoûté et épuisé, je passe devant Anaïs et quitte la salle sans même songer à dire au revoir. Je n'ai plus rien à faire ici. Les réunions sont terminées de toutes manières. Je reviendrai lundi pour faire mon travail et je raserai les murs pour ne pas avoir à croiser des collègues indésirables. En parvenant dans le couloir, je suis tellement énervé que je me trompe à nouveau de direction et atterris dans les toilettes. J'aurais pu y rester un moment en attendant que le collège se vide mais il est urgent que je rentre chez moi. "Chez moi". Même mon appartement ne constitue pas un lieu agréable où je me sentirai vraiment à mon aise mais c'était toujours mieux qu'ici. Je retrouve la sortie sans encombre cette fois et aumoment où je m'apprête enfin à fuir à l'air libre, j'entends l'accent de Anaïs dans mon dos :

— Julien, attends !

Je me retourne à une vitesse fulgurante pour lui faire face.

— Quoi ? m'exclamé-je d'un ton plus agressif que je ne l'aurais voulu.

Elle a un mouvement de recul face à mon attaque verbale mais elle garde contenance.

— Je voulais te dire... commence-t-elle à moitié essoufflée.

Se pourrait-il qu'elle m'ait couru après pour venir s'entretenir avec moi ? Après tout, elle n'y est pour rien. Elle faitsimplement partie de la machine infernale de cet établissement exécrable.

— Pour Céleste. Ne t'inquiète pas, tu auras tes manuels.

Qu'ils aillent tous au diable avec leur stupide manuel. Ils peuvent bien se les mettre où je pense ! Je reste mutique, incapable de poursuivre cette conversation.

— Ça va ? s'interroge-t-elle.

Paradoxalement, sa sollicitude me fait sortir de mes gonds et elle devient la cible malheureuse de toute ma rancœur.

— Bien sûr que ça va ! m'écrié-je. À part que deux trois petites pétasses s'amusent à me gâcher mon premier jour.

Surprise par le ton de ma voix vibrante de rage et par mes propos, elle demeure interdite un instant.

— Mais on est pas toutes comme Céleste... commence-t-elle.

Comment en être certain ? Et puis même, lorsqu'un fruit est pourri dans la corbeille, in contamine tous les autres fruits à proximité.

— Ce n'est pas personnel, ajoute-t-elle. Pour Céleste je veux dire. Et pour Emilie. Elles n'en veulent pas vraiment à toimais au système.

Alors là, elle me scie les pattes !

— Au système ? répété-je incrédule.

Comme si j'étais responsable des désastres de l'éducation nationale ! Une rumeur courait-elle sur ma parenté avec un fonctionnaire haut placé au rectorat ? À l'heure actuelle, c'était la seule explication que j'entrevoyais.

— Tu as pris la place de Marie, développe Anaïs. La collègue qui était là avant toi.

Sans le vouloir, ajoute-t-elle en voyant mon visage s'empourprer davantage.

— Sa place ? m'agacé-je. Si elle n'est plus ici, c'est qu'elle l'a décidé. Je n'ai pris la place de personne. Je veux bien la lui rendre si ce n'est que ça ! A condition que tu puisses me donner un poste dans ma région natale, tu peux faire ça ?

Le stress que j'ai accumulé ces derniers jours est en train de rejaillir à travers mes paroles, comme des balles perdues dont Anaïs serait la cible malheureuse.

— Non je ne peux pas, avoue Anaïs penaude. Mais Marie n'était pas titulaire. Alors ceux qui l'appréciaient voient cela comme une injustice, même s'ils savent que tu n'en es rien responsable.

Je vois. La mentalité de ce collège me donne la nausée. En venant ici, j'avais craint de ne pas m'intégrer, de ne pas vouloirm'intégrer. Je n'avais pas envisagé que les autres non plus ne voudraient pas de moi. La rage me brûle de l'intérieur. Je suis déçu et blessé de ce revirement de situation.

— Ne t'inquiète pas, renchérit Anaïs. Il ne s'agit que d'un petit groupe. Marie n'était appréciée que par... euh... les gens comme elles.

Je sens des tensions sous-jacentes au sein de collège et j'ai l'impression de ne pas en être à l'origine. Un mal pour un bien. Je ne suis qu'un dommage collatéral.

— Que fais-tu ce week-end ?

Je ne m'attendais pas à cette question et je suis pris au dépourvu.

— Rien. Enfin, je vais me préparer comme je peux pour la rentrée.

— Pourquoi ne viens-tu pas samedi soir chez moi ? Il y aura d'autres collègues.

— D'autres collègues comme Céleste et Emilie?

— Non, des collègues comme moi et comme Viviane. Alors, ça te dit ?

J'hésite un instant. Je ne voulais pas m'intégrer, c'est vrai. Mais au sein de cet établissement, il me fallait aussi des alliés. Et peut-être même des amis, qui sait ?

Adam aime Julien [MxM]Where stories live. Discover now