Chapitre 8 - Titre gardé

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La lumière du soleil vient réveiller mes yeux fatigués. Tout est calme autour de moi. Dans cette chambre d'hôtel où je m'étais endormie. Je me relève sans conviction. Tout cela était bien un rêve après tout. Me revoilà à devoir affronter mes problèmes. Appelée par la chaleur de ce cocon de couettes et d'oreillers, je m'apprête à me recoucher. Alors que ma tête atteint l'oreiller, la poignée de la porte d'entrée se tourne. Un visage familier passe l'entre bâillement de cette dernière. Un visage que je ne pensais plus jamais revoir. Il est là cet homme avec qui j'ai passé les quelques dernières années de ma vie et avec qui je voulais rester jusqu'à ce que celle-ci me quitte. Ses pieds passent l'entrée pour venir se poser devant moi. Il s'accroupit à ma hauteur et me dévisage avec culpabilité.
    «  - Oh... Ma douce Inaliel. Qui aurait cru que tu étais si fragile et naïve ?
Ses lèvres coupables se tirent en un sourire mesquin. Je voudrais me relever et m'enfuir mais mon corps refuse d'obéir. Comme tétanisé par le traumatisme que cet homme m'inspire. À chaque seconde où ses yeux noisette se posent sur moi, j'entends mon cœur se craqueler un peu plus. Sa main répugnante vient passer dans mes cheveux avec délicatesse.
- Un unique amour pour une vie entière, n'est-ce pas merveilleux ?
Ses yeux s'écarquillent alors que la pièce se fait étrangement plus sombre. Son sourire plein de dents devient plus machiavélique à mesure qu'il se rapproche de mon visage. Soudain, son corps se projette en arrière dans un accès de rires moqueurs.
- Toi qui n'ose pas même regarder un autre homme dans les yeux ni même en frôler un par accident. Toi qui viens te repentir auprès de moi à chaque fois qu'un bel inconnu attrape ton regard. Que vas-tu faire maintenant de ta vie, sans moi ?
Ses doigts moites attrapent mon menton et le tirent en avant.
- Tous les souvenirs que l'on a créés ensemble, tous ces si beaux projets d'une vie paisible en famille. Que de niaiseries. Tu n'as jamais eu la moindre valeur à mes yeux.
CRACK. Mon cœur se déchire pour de bon. Un flot de larmes coule sur mes joues. Je veux partir, m'enfuir d'ici. Mais tout ce que je peux faire est rester là à écouter ces horreurs encore et encore. Quelqu'un, à l'aide, par pitié.
- Tu es seule, personne ne viendra à ton secours. Si un jour quelqu'un vient essuyer tes larmes, ce ne sera que pour venir en faire couler de nouvelles plus lourdes et plus épaisses. La confiance n'est qu'une illusion pour prendre le pouvoir sur toi.
Son rictus cynique se développe un peu plus. Puis il s'approche et lèche mes joues trempées de larmes.
Et ce pouvoir, je l'ai déjà. »

Mon cauchemar se déchire lorsque je tombe de mon lit. Toute tremblante et trempée de sueur et de larmes. Mon corps refuse de m'obéir, toujours tétanisé de dégoût. Un rapide coup d'œil autour de moi me fait comprendre que je suis de retour dans le monde que j'ai inventé. Cette immense chambre luxueuse est si vide à cet instant. Je réussis tant bien que mal à me relever pour m'adosser au lit.
    « - Il a raison. Au bout du compte, je suis seule. »

La matinée a commencé bien avant l'aube pour les habitants du duché. Descendue de ma tour pour saluer le monde, j'apprécie l'air frais matinal. Tous sont affairés à quelque chose. Le pain est fait, les rues se font balayer et nettoyer des débris laissés par les anciens non-invités. Quelques magiciennes parsèment les murs d'un talc empêchant la prolifération de maladies et quelques cuisinières s'affairent à préparer le petit-déjeuner.
    « - Avez-vous bien dormi jeune demoiselle ? Me demande un soldat en patrouille.
- À vrai dire, j'ai connu des nuits meilleures.
- Oh comme je vous comprend. Difficile de bien dormir après de tels événements.
Je lui sourit gentiment en guise de réponse. Personne n'a besoin de savoir que ce n'est pas cela qui inquiète mes nuits.
- Me laisseriez-vous vous mener jusqu'à la salle du petit-déjeuner, ma lady ?
- Avec plaisir. »
L'estomac dans les talons, je laisse cet homme me guider à travers le dédale de rues grouillantes de monde. Nous arrivons bientôt jusqu'au hall central du château. Là, il me laisse entre les mains des domestiques. Celles-ci ne savent pas vraiment comment se comporter à mon égard. Après tout dans ce monde l'apparence est prédominante pour connaître le rang de quelqu'un. M'étant endormie avec mes habits de travail, je ne ressemble à rien de ce qui est assimilable à une classe sociale. Un simple jean avec un t-shirt et un bon pull. Une tenue pour tous les jours d'où je viens mais bien trop décontractée et masculine pour ici. Le respect qu'elles me montrent n'est dû qu'à l'image d'invitée du duc que j'ai acquise. Cela me fait penser à ce dernier. Tout en entrant dans la pièce de la salle à manger, je me demande s' il se réveillera bientôt. Certainement pas d'après l'état dans lequel il était hier soir. On m'assied à table et me sert une pomme, une grappe de raisins et un bol rempli de lait sucré. L'une des servantes se présente à moi et s'incline.
    - « - Pardonnez ce repas frugal, mademoiselle. Les vivres sont manquantes.
- Oh, ne vous en faites pas, cela me convient très bien. J'imagine que les trolls, gnomes et autres ont dû tout manger. Cela n'est en rien votre faute
Une légère hésitation marque son visage.
- À vrai dire, cela fait bien des années que nous ne mangeons plus à notre faim dans cette contrée.
Cela me fait regretter d'avoir empoigné la grappe de raisin comme une simple branche trouvée au sol.
- La guerre fait toujours des ravages. J'imagine que vous avez fait de votre mieux sans votre leader. Mais à présent le duc est là, il va arranger tout ça.
Le regard de la jeune fille dévie vers un point invisible.
- Oui... Certainement. »
D'un geste, elle s'excuse de devoir partir et quitte la pièce à la hâte. Tout cela est bien étrange. Les serviteurs de ce château ne semblent avoir aucune confiance envers leur maître. Il est vrai que cet homme n'inspire pas la sympathie. En dehors de sa belle apparence, son regard hautain et son attitude froide dresse une barrière. Et dire qu'il est à présent mon « serviteur ». Cela me fait bien sourire. D'ailleurs, puisque tous ses biens m'appartiennent d'après notre contrat, je suis assise à ma table, servie par mes gens, à l'intérieur de mon château. Il y a de quoi se délecter. Et puisque les habitants de ce duché n'apprécient pas leur bienfaiteur, il me serait plutôt simple de prendre sa place. Je suis certaine que je pourrais faire de belles choses de cet endroit. En commençant par rassasier ces pauvres gens. Mais cela serait de lourdes responsabilités qu'il faudrait garder jusqu'à mes vieux jours. Quelle nuisance. Non. Il vaudrait mieux pour moi que je me tienne à l'écart de ce genre de rôles. Je n'aspire qu'à vivre une vie tranquille sans prétention. Dans une jolie maison entourée de quelques animaux. Pas besoin de la compagnie de qui que ce soit. Moi seule me suffira. L'autre raison serait l'immoralité de cet acte envers le Duc. Il est vrai qu'il me doit la vie mais ce n'est pas pour autant que je dois la lui voler. D'ailleurs, bien que je ne connaisse pas bien ce jeune homme, j'ai l'impression qu'il n'est normalement pas si benevolant. Pourtant il n'hésite pas à courber l'échine devant moi, genoux à terre et marques de respects en sus. Bien qu'il ne me connaisse pas. Peut-être est-ce un effet de la malédiction. Les souvenirs d'Atlas déshabillé sur le lit me reviennent en mémoire. Mes joues rougissent comme la braise. Je ne suis peut-être pas laide à regarder mais jamais un homme ne s'était offert si ouvertement à moi par le passé.
Alors que j'essaie de noyer mon trouble dans mon lait chaud, la porte de la salle s'ouvre sur son auteur. Le duc, droit comme un I, avance jusqu'à moi d'une démarche assurée pour s'agenouiller à mes pieds. Le front baissé vers le sol pour ne pas croiser les yeux, il me tend sa main. Sans aucune connaissance de la bienséance, j'y dépose la mienne en espérant que ce soit la bonne chose à faire. Le jeune homme relève alors la tête, dépose un baiser fantôme sur mes doigts et se redresse.
    « - Mes salutation, ma dame. Avez-vous bien petit-déjeuner ?
La lumière passe dans ses cheveux châtains alors qu'il délaisse ma main pour aller s'asseoir en face de moi.
- Oui, je suis repu. Mais je dois dire que je m'attendais à vous voir vous réveiller un peu plus tard que cela. Après tout, cela doit bien faire plusieurs années que vous n'avez pas eu une véritable nuit de sommeil. N'est-ce pas ?
La servante qui m'avait accordé quelques mots plus tôt arrive avec un petit chariot pour déposer le repas de son maître et emporter la vaisselle vide.
- Vous avez raison. Mais mon unique devoir est d'être votre serviteur à présent. Je n'oserais me permettre une grasse matinée.
- Vous le devriez pourtant. Après tout, vous êtes toujours le maître de ces lieux. Un Duc peut se lever à l'heure où bon lui semble.
- Que voulez-vous...?
D'un doigt sur mes lèvres, je lui fait signe de se taire. Il comprend grâce à quelques coups d'yeux de ma part qu'il y a trop de témoins pour pouvoir parler de ce sujet. D'un geste de la main, il ordonne aux employés de sortir. Une fois la pièce complètement vide, je reprends.
- Lorsque je vous ai sauvé la vie, je n'avais aucunement connaissance de la malédiction que cela pouvait engendrer. Bien que je l'aurais fait quand même si je l'avais su. Je ne viens pas de ce monde et beaucoup de choses m'échappent encore mais j'aimerais vous aider du mieux possible. Tout en vivant une vie simple loin des artifices.
Atlas n'a pas l'air d'en croire ses oreilles.
- Mais la malédiction est ainsi. Ce qui était à moi est votre désormais. Tout le duché vous appartient et... Moi aussi.
La mine triste qui fâche son magnifique visage me fend le cœur.
- Je l'ai bien compris mais je pense qu'il y a une manière plutôt simple d'arranger les choses.
Je me lève de ma chaise et écarte les bras de façon démonstrative.
- Duc, je vous ordonne de reprendre la place qui est la vôtre au sein de ce duché. Je resterais à vos côtés aux yeux des autres comme une conseillère, ni plus, ni moins.
Il en reste bouche bée.
- Ne voulez-vous réellement rien de moi ? Insiste-t-il.
- Et bien, j'aspire à vivre une vie tranquille dans une petite chaumière entourée de quelques animaux. Sans vivre comme une pauvresse pour autant. Mais je ne vous importunerai pas.
Les magnifiques yeux mauves d'Atlas restent plantés dans les miens. Une expression de soulagement collée au visage. Une larme se met à rouler sur sa joue.
- Je... Je vous remercie.
Qu'aurais-je pu lui infliger qui l'ai mis dans un tel état de stress ?
- Il n'y a rien de plus normal, nullement besoin de me remercier.
Un petit sourire pour lui remonter le moral ne fait pas de mal.
- Non seulement vous me sauvez la vie, vous me soignez et sauvez mon peuple. Mais vous me rendez également mes terres et mon titre de noblesse. Alors que vous pourriez en tirer tant de profits.
Ce pauvre jeune homme avait bien plus peur de perdre ses biens que je ne l'aurais cru.
- Bien, vous devriez manger pour reprendre des forces. Vos blessures sont encore fraîches.
Atlas secoue sa tête pour reprendre ses esprits et se concentre sur son repas. Après un tel tumulte, le jeune noble préfère certainement rester seul. Éclipsons-nous sans faire de vagues.
- Je vais aller admirer les alentours. Voir en quoi je pourrais me rendre utile.
- Bien, faites à votre aise. Votre toit sera prêt sous peu. »
Je lance un regard d'approbation avant de sortir de la pièce.

L'écrivaine sans scrupulesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant