Chapitre 1

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Chapitre 1 :

« Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir; Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Un cœur tendre, qui hait le néant vaste... » (Charles Baudelaire - Harmonie du Soir - "Les fleurs du Mal")

Un cri s'éleva au milieu du brouhaha de la ville, suffisamment puissant pour que Gabrielle relève la tête. Un instant plus tard, le coupé s'arrêta net, puis fut secoué par le cheval qui s'énervait à l'avant. Refermant son livre, elle se redressa pour pousser le rideau et regarder à l'extérieur. Le cochet avait sauté au sol et la fit sursauter en apparaissant à sa fenêtre.

« Restez là, mademoiselle Deslante ! »

A nouveau, un hurlement de détresse intense lui serra les entrailles. Qu'est-ce qu'il se passait ?

Encore ensuquée par des heures d'immobilités, elle mit une seconde à réagir.

« Un médecin ! Appelez un médecin ! La police ! A l'aide ! »

Une femme ne cessait de hurler, de déchirer la nuit de sa voix brisée. Gabrielle repoussa son livre et le châle sur ses épaules pour descendre, peu importe ce qu'il se passait, quelqu'un avait besoin d'un médecin. Certes, elle ne l'était pas, mais en attendant que quelqu'un d'autre arrive, elle pouvait aider. Avec prudence, elle descendit la marche du coupé pour enfin découvrir le macabre spectacle.

En chemise de nuit, la femme était couverte de sang : ses mains, ses bras, le blanc du coton imbibé de rouge sur tout son côté gauche. Gabrielle se pressa vers la femme que personne ne pouvait calmer. Le cochet était parti téléphoner, quelques voisins avait sorti leur nez à leur fenêtre et deux ou trois badauds s'étaient regroupés, ne sachant s'il fallait approcher.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? Madame ?

- Mon mari ! C'est mon mari ! »

Mais la femme n'arrivait plus à faire de phrase complète, elle gesticulait dans tous les sens, montrant la porte de l'échoppe derrière elle. Gabrielle ne chercha pas à comprendre plus et s'élança à l'intérieur. Elle traversa la petite quincaillerie pour rejoindre la porte grande ouverte. Un homme était au sol, les yeux injectés de rouge, exorbités, il tremblait, figé dans un effroi encore palpable. Gabrielle eut une seconde de choc avant de se remettre en branle. La gorge de l'homme était à nue, arrachée, noyée dans une marée de sang moussant. Sans réfléchir, elle déchira un long pan du bas de son jupon, le replia en une compresse épaisse pour aller comprimer la blessure.

L'homme planta ses yeux dans les siens, jamais elle n'avait vu un tel regard : une terreur indicible. Il savait qu'il allait mourir, il savait et se voyait mourir. Par malheur il avait survécu à son accident ? Agression ?

« Tout va bien, le médecin va arriver, votre épouse est partie chercher de l'aide. Je vais rester avec vous, commença-t-elle à dire.

Sans réfléchir, elle parlait doucement, elle devinait qu'il ne pouvait rien dire. Mais elle pouvait ressentir son impuissance, elle devinait.

- Tout va bien, tout va bien. Regardez-moi. Vous savez quoi ? Je reviens du sud de la France, j'en reviens à peine, sourit-elle, la voix un peu tremblante. Là bas, le ciel est bleu tout le temps, les cigales grésillent à chaque heure de la journée, tant et si bien que c'en est parfois agaçant ! Mais, mais c'est magnifique... l'air sent la lavande, l'iode et au petit matin, le savon. Les lavandières frottent le linge en chantant...

Autour d'elle, du monde commençait à arriver. Un médecin en robe de chambre jeta presque sa sacoche près d'eux, se précipitant pour aider Gabrielle. Sans rien dire, il lui prit la compresse des mains. Mais elle ne bougea pas. Derrière elle, quelqu'un l'appelait. Mais l'homme la regardait toujours, et son visage s'était un peu détendu, ses yeux commençaient à se fermer.

La Nuit Des Etoiles - T.1 (Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant