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Mention suicide
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Lundi 26 mars 2018

    Dans la hêtraie, tandis que ses mains harponnaient les bandoulières de son sac à dos, ses pas brésillaient le terrain sous le gazouillis des hirondelles. Après une centaine de mètres de marches, elle arriva enfin au parc et se posa sur l'herbe, dans un coin, pendant qu'une trentaine de personnes profitaient du rare beau temps sur les terres françaises de la saison.

Une minute. Cinq minutes. Dix minutes.

Pendant qu'elle ingurgitait sa bouteille d'eau, Romane vint timidement s'asseoir à côté d'elle, les jambes croisées. Dylane se tourna vers elle, un sourire pincé sur les lèvres, puis sur celles de la mère. Romane la détailla d'un regard débonnaire.

— T'as perdu beaucoup de poids depuis la dernière fois, démarra-t-elle la discussion, ses yeux glissant incontrôlablement sur les cuisses de la jeune femme, puis sa mâchoire, puis ses joues creusées.

Dylane força un sourire rassurant.

— Je vais bien, rétorqua-t-elle. Je marche beaucoup, c'est tout.

— Oh, je vois.

Les deux femmes détournèrent leurs regards d'elles, bercées par les ricanements et les parlotes de la galerie lors d'un silence qui s'ensuivit. Romane ne tarda pas à sortir un carnet de son sac, réalisant, d'une part, que leur rencontre s'était faite abruptement, et d'autre part, qu'elles n'arriveraient pas à tenir une conversation si ce n'est de force ou d'embarras. À vue d'œil, c'était sûrement le carnet d'écriture qu'elle lui tendait. Dylane fit glisser son regard sur ce dernier, percluse.

— Tiens, c'est pour toi, poursuivit Romane. Axel m'a dit qu'il t'avait envoyé quelque chose par mail, mais que t'as jamais répondu, je crois.

La jeune femme le prit enfin en main, avec précaution. Le carnet était saturé de feuilles volantes annotées. Il devait faire plus de deux-cents pages. Deux-cents pages marquées par l'écriture d'Axel.

— Je n'ai rien reçu, se justifia-t-elle.

Affirmatif. Elle les avait inspectés jour et nuit, d'arrache-pied. Et maintenant, le carnet reposait entre ses mains maigrelettes. Dylane le fixa, ankylosée de toute émotion. Pas même une extrasystole, ni un faible sourire qui se collerait à ses lèvres éculées. Les spams, alors, se dit-elle. Les spams, semble-t-il. Pourtant, elle était convaincue de les avoir épluchés sans répit. Peut-être qu'Axel s'était trompé d'adresse e-mail.

Pour tout dire, elle n'osait même pas feuilleter le carnet de peur d'abimer une empreinte ou effacer l'encre avec ses doigts moites. Alors elle se fossilisa, intérieurement et extérieurement, engourdie par les sentiments et le monde qui l'entourait sans voix. Dylane déglutit difficilement, ses yeux qui se noyaient à nouveau dans le déluge clair-obscur, comme si c'était la seule chose qu'elle pouvait faire mécaniquement. Elle écarta à bride abattue le carnet d'elle, loin de ses plaies aqueuses qui viendraient se chahuter sur ces pages habitées. Elle regarda droit devant elle tout en prenant une profonde inspiration. Au bout de trente secondes, Romane feignit d'avoir l'air impassible. Il ne fallait pas craquer. Alors elle déglutit, puis racla doucement sa gorge érodée.

— Dylane, vocalisa-t-elle d'une voix impulsivement frêle.

Dylane releva hâtivement la tête vers elle. Romane inhala et exhala ses souffles instables.

— C'est sans doute la dernière fois qu'on se voit toi et moi. Alors, avant de regretter quoi que ce soit, je voulais te dire combien je suis désolée pour toute cette histoire avec ton père.

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