Prologue

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- Mettez-le sur l'hôtel de ville ! Rendez la commune à la France ! Lui crie le soldat de la Résistance.

Sur le dos du cheval, Hannah se saisit du drapeau tricolore. Les larmes coulent le long de ses joues, elle ne veut pas abandonner un frère sur le front. Le soldat frappe la croupe du cheval et l'animal s'élance au grand galop. Hannah le regarde et appelle son nom, mais s'empressant de monter à cheval et de partir au galop en direction de l'ennemi, son ami ne répond pas. Plusieurs coups de feu partent, et le Français s'effondre à terre alors que sa monture poursuit sa route. Un objet tombe aux pieds du soldat, un bruit sourd se fait entendre et la silhouette de son ami disparaît à jamais derrière le bruit d'une explosion qui se dissipe, derrière le son des vagues s'écrasant sur les plages de Normandie.

Paris, 2 avril 1942.

Hannah passe chaque jour deux bonnes heures dans ce café parisien à attendre que deux officiers de la Gestapo se montrent et prennent leur pause habituelle. Elle se place non loin d'eux, elle prend un livre et un thé pour ne pas attirer l'attention sur elle ; et elle écoute, prête à attraper au vol toutes informations importantes à transmettre à son supérieur, qui lui, les fera remonter jusqu'aux oreilles de de Gaulle. Voilà un an qu'elle espionne les Allemands.

Âgée de vingt-trois ans, Hannah met son énergie au service de son pays. Le souvenir de son père, resté sur Lille, lui donne la force de se battre, la jeune Française n'oublie pas d'où elle vient, ni où elle va. Son courage et sa détermination en vue de libérer la Nation qui l'a vu naître, alimente cette force et fait de la jeune femme un atout de la Résistance parisienne. Sa joie de vivre et son sourire remontent le moral de ses camarades dans les moments difficiles. Henry, son employeur, son ami, voit en elle un espoir ; et beaucoup de jeunes de la Résistance renvoient aux aînés cet espoir de redonner à la France, la liberté qui fait sa grande fierté.

Ainsi donc la voilà, assise dans ce café, à écouter les Allemands. Elle ne connaît pas les noms de ces officiers, elle sait seulement qu'il s'agit d'SS-Untersturmführer, des sous-lieutenants de la Gestapo. Ils discutent de leur vie pendant un bon moment puis, Karl Bömelburg, lieutenant-colonel SS s'installe à leur table. Le café est vide mais Bömelburg se méfie d'Hannah ; elle est toujours assise à sa table en train de lire son livre. Le lieutenant-colonel passe devant elle et bouge « accidentellement » une des chaises, mais elle ne relève pas la tête, laissant croire qu'elle est complètement plongée dans sa lecture. Il rejoint les deux autres officiers et se met à leur parler à voix basse. En gardant une attitude parfaitement naturelle, Hannah tend ses deux oreilles et intercepte un maximum d'informations.

Au moment de partir, l'un des Allemands, plus précisément le bras droit de Bömelburg, regarde Hannah pendant un moment. La jeune femme n'y prête pas attention et rapidement, le soldat tourne les talons et rejoint son équipe.

Après avoir attendu une bonne demi-heure que les SS soient partis, elle quitte le café et gagne son appartement où l'attend Brossolette. Elle vérifie discrètement, de temps à autre, que personne ne la suit et elle ferme doucement à clé, la porte de son appartement. Son supérieur se tient debout, devant l'une des grandes fenêtres du salon, légèrement dissimulé derrière le rideau ; il observe la rue sans un mot. Elle décide alors de rompre ce silence pesant.

- Je pourrais très bien être un soldat allemand, vous ne regardez pas dans ma direction, comment pouvez-vous être sûr que je suis bien votre petite souris ?

- Je vous ai vu entrer dans le bâtiment, bonjour Hannah, dit-il en se retournant enfin.

- Bonjour Pierre.

- Alors, votre journée a-t-elle porté ses fruits ? Avant que vous ne répondiez, asseyez-vous, j'ai pris la liberté de vous préparer du thé.

Hannah s'exécute et s'assoit sur l'un des fauteuils devant la table basse où est déposé un plateau en argent avec deux tasses de thé.

- Il y avait les deux officiers habituels, ils n'ont rien dit d'intéressant, mais ils ont été rejoints par Karl Bömelburg.

- Et alors ? A-t-il dit quelque chose qui pourrait nous être utile ?

- Il a essentiellement parlé des déportations juives vers la Pologne, mais il a également dit qu'on lui avait fait part de projets concernant les offensives contre l'URSS.

- Il en a dit plus ?

- Non, il a dit qu'il n'en savait pas plus, seulement que si c'était nécessaire, certains soldats seraient rappelés en Allemagne pour partir sur le front soviétique ensuite. Ils n'ont rien dit de plus.

- Très bien, dans ce cas je ne vais pas m'attarder ici. Merci beaucoup Hannah pour votre contribution, votre aide nous est précieuse.

- C'est moi qui vous remercie Pierre.

- Continuez ce que vous faites, mais faites attention à vous. S'ils vous démasquent, vous êtes morte.

- Je ferai attention.

Pierre ne s'attarde pas, il quitte son amie en sortant de l'appartement parisien de la jeune femme. Hannah dépose ses notes sur la table de son salon ; elle se retourne et se dirige vers un côté de la pièce. Dans la grande bibliothèque, elle prend une boîte dissimulée derrière quatre gros livres. Elle emporte l'objet et le dépose sur la table. Puis elle l'ouvre et y glisse les petits morceaux de papier qu'elle a, avant cela, arrachés de son carnet. Elle referme la boîte et la remet à sa place, à l'abri des regards indiscrets.

Légèrement fatiguée par cette journée, elle s'en va dans la salle de bain. Puisqu'elle est seule, elle ne prend pas la peine de fermer la porte en bois derrière elle. La jeune femme ouvre la fenêtre qui donne sur une ruelle où personne ne peut l'observer, afin de laisser la pièce être submergée par l'air et les sons de l'été. Elle fait couler l'eau dans la baignoire, et pendant que cette dernière s'inonde d'une marée d'eau douce, la petite Française de vingt-trois ans se délaisse de ses vêtements, les uns après les autres. Elle attache ses cheveux bruns à l'aide d'une pince, puis elle se glisse délicatement dans son bain, de manière à ne pas laisser l'eau du meuble de porcelaine se délivrer de son emprise. Elle penche sa tête en arrière et dépose le bas de son crâne sur le rebord. Hannah ferme les yeux et profite de ce moment de tranquillité.

Un bruit soudain la fait sursauter, laissant quelques vaguelettes d'eau s'échapper de la baignoire pour aller embrasser le sol. Elle se redresse dans son océan et tourne sa tête vers l'origine du bruit. Un corbeau noir s'est posé sur le rebord de sa fenêtre. Il l'observe et croasse de temps à autre. Le bruit qui sort du bec de l'animal est aussi désagréable que l'Allemand qui hurle des ordres de sa voix cassée. Son plumage est aussi sombre que les désastres de la guerre ; et les reflets offerts par la faible luminosité qui atteint l'oiseau, traduit l'image que cet être renvoie à la jeune femme : le mal. Il est le corbeau noir qui, de ses grandes ailes d'ébène, balaye l'honneur des Français.

1944 - Le chant de la Résistance [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant