~CHAPITRE 3~

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Je restai un instant sous le choc, incapable de parler ou même de bouger. Epervier s'écarta à peine de moi et eut, l'espace d'un instant, une expression à la fois intriguée et compatissante.
Quant à moi, je restai muette. Je croyais ces souvenirs enterrés sous les décombres de ma mémoire perdue. Je creusai mon esprit afin de savoir ce que j'avais bien pu faire pour me rappeler cette scène, mais rien ne me vint directement.

Le fils du bûcheron, oubliant toute
prudence, s'avança et posa délicatement une main sur mon épaule.
De toute évidence, ce garçon était simplet, il ne pouvait qu'avoir des capacités intellectuelles à la moyenne. Sa réaction calme et point étonnée pour le moins du monde lorsqu'il avait vu le marchand mort au sol et sa manière de vouloir réconforter celle qui souhaitait le tuer me le
confirmaient. Mais, loin d'être un imbécile sans cœur comme certaines personnes atteintes de déficience mentale que j'avais rencontrées, lui était doté de compassion, ce qui le faisait paraître à mes yeux meilleur que n'importe qui.
D'une voix très douce, il me demanda :
- Puis-je vous aider, D'moiselle ?

Des siècles plus tôt
***

- Erza, il faut que tu rentres ! Mère va s'inquiéter !
A travers la lumière verte qui éclairait la forêt du domaine familial dans laquelle j'adorais passer mes journées, je tentais de retrouver ma demi-sœur dans la lueur magique de la fin d'après-midi. Le vent violent et froid me piquait les joues et me plaquait les cheveux devant les yeux. Les hauts arbres, loin de m'effrayer pourtant, semblaient tous être les mêmes, comme s'ils souhaitaient que je me perde.
Mon regard n'arrivait plus à distinguer les différents sentiers. Les pierres, les ronces, les amas de boue étaient identiques, où que j'aille. L'air se faisait de plus en plus glacial en cette journée d'hiver. La terre sur le sol était recouverte de glace par endroits. Je criai le prénom de ma demi-sœur encore plus fort, espérant une réponse, un quelconque signe d'elle.
Emportée par mon élan, je glissai sur la surface verglacée. Je dérapai et tombai comme une masse, me cognant fort les pommettes contre une pierre. La douleur m'arracha un cri tandis que je frottai, en vain, mon vêtement taché et trempé. Je ne me rendis compte trop tard que je m'étais assise sur une flaque de boue, qu'une fine couche de givre cachait juste avant que je
ne la brise.

Je jurai entre mes dents. J'avais ruiné une de mes plus belles robes. Combien de temps allais-je devoir récurer les écuries pour expier ma faute ? Je tapai le bas de l'étoffe, puis me piquai la main avec une aiguille de sapin, emprisonnée dans les fines coutures.
Je lâchai un second juron, puis je souris, ironique, en imaginant l'expression de Mme Dove si elle m'entendait dire des choses pareilles, qui, selon elle, "n'étaient point digne d'une demoiselle et portaient atteinte au respect de la rigueur de l'étiquette".

J'ôtai finalement la robe, fichue, irrécupérable, dont je n'avais gardé que les jupons de dentelle blanche, comme les ailes d'un cygne.
Avec une grimace de dégoût, je pris le tissu dans mes mains et le hissai sur une de mes épaules. Je devais rentrer désormais, en espérant qu'Erza aurait retrouvé entre-temps le chemin du château. Je titubai sous le poids du vêtement, que même certaines dames de la Noblesse Féerique avaient du mal à supporter. Finalement, j'entendis la Mélodie, la cloche magique qui sonnait tous les soirs dans une des tours pour mener ceux qui s'étaient perdus
dans les bois à un endroit chaud, réconfortant, où ils auraient droit au gîte et au couvert.

En l'occurrence, son doux tintement allait me guider vers le domaine. Cette pensée me mit du baume au cœur. Aussi, je fis quelques pas, bercée par la Mélodie, avant de retomber. Puis, j'entendis du bruit derrière moi, comme des feuilles d'automne sur lesquelles on aurait marché. Je me retournai, prise de panique, dans l'obscurité naissante.
L'émotion et la peur firent gonfler les veines de mes mains, devenues brûlantes.
Là, je vis, à travers la végétation, une ombre se dessiner en contre-jour. J'hésitai à partir, mais la frayeur me gardait clouée sur place. La silhouette, dont je ne pouvais deviner les traits, s'approcha, et me fut révélée dans un éclat de lumière de la couleur des sapins, et je devinai la stature peu imposante d'un adolescent, d'environ quatorze ou quinze ans. Ses cheveux d'un brun peu foncé, épars, lui retombaient sur les yeux, dont je ne pouvais admirer que les longs cils noirs. Quelques autres mèches couvraient ses oreilles et luisaient comme le pelage d'un
félin sous le soleil. Il souriait légèrement, ne montrant pas sa dentition, mais étirant ses joues parsemées de taches de rousseur en y creusant deux fossettes très marquées.
Vêtu d'une cape à peine plus claire que sa crinière de fauve, je me dis qu'il devait s'agir d'un petit paysan des contrées voisines féeriques qui se serait perdu. Lorsqu'il écarta les mèches de ses yeux, il haussa les sourcils sans un mot, puis, éclata de rire.
Gênée, je me couvris avec la robe crottée mais ne parvins qu'à me salir davantage, ce qui amusa encore plus le garçon. Agacée, et, surtout, couverte de honte, je fis quelques pas, la tête haute, pour m'éloigner de cet inconnu qui se moquait de moi.
Mon genou buta violemment contre le rocher qui m'avait aidée à me relever, et je rechutai.
Un instant, le monde tourna, et je finis par me retrouver au point de départ : assise dans la boue. Le garçon cessa de rire et s'approcha. Instinctivement, je reculai, toujours à terre.

𝐂𝐨𝐞𝐮𝐫 𝐝𝐞 𝐕𝐞𝐫𝐫𝐞 (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant