La Cité des Ombres - 1| Eclipse

15 | Le soldat Rudeus et la forme verte

Lorsque je rentre dans la pièce qui sera notre dortoir, la première chose que je remarque est l'absence de pancarte sur la porte. Est-ce parce que ce n'est pas un dortoir ? Sûrement puisque la seconde chose qui retient mon attention est l'absence totale d'un lit quelconque ou tout ce qui pourrait s'apparenter à quelque chose de similaire. Tous mes compagnons ont donc installé leur couchage de fortune proche les uns des autres et assez éloigné de l'entrée. Ce détail pique ma curiosité.

Faisant un rapide tour de leur attitude et de leurs expressions faciales, je remarque que je ne suis pas la seule à être dérangée par cet endroit et ses occupants. Je rentre donc à mon tour et installe ma fourrure à proximité de la fenêtre la plus au fond de la pièce. Je me retrouve alors dans un des coins, à proximité de la place de Serdei et Draidh.

Cette fois-ci ce n'est pas Azabel qui nous réunit pour nous parler mais Arhyel avec ses traits durs transpirant de sérieux et de virilité. On se rassemble tous autour de lui exception faite de l'homme-serpent qui observe l'extérieur, allongé sur sa couchette, bien qu'il semble tendre l'oreille, attentif.

« Quelque chose se trame ici. Ce n'est pas notre problème mais soyez sur vos gardes. »

Ses instructions sont claires et concises. Elles lui correspondent parfaitement. Sans détours ni fioritures.

Il se détourne de nous pour rouvrir la porte et traverser le couloir, les marches grinçants ensuite sous son pas lourd et régulier.

« Restons groupés, ajoute Serdei de son habituel ton froid et distant. »

Lui, qui d'habitude est si solitaire, nous conseille de rester ensemble. Le danger est donc palpable par l'ensemble de l'équipe et parait plus imprévisible que je ne le croyais de prime abord. Personne ne le laissait paraître mais tout le monde le savait. Alors lorsque le Shinigami a pris la suite d'Arhyel de son allure discrète mais toute de même assurée, le reste du groupe en a fait de même.

Les escaliers embaument d'une odeur de fumée et un brouhaha monte jusqu'au dernier étage par la porte laissée ouverte par mes comparses. Mon ventre grogne bruyamment de cette odeur et mes oreilles accueillent douloureusement le bruit venu d'ailleurs. Le calme, même parfois pesant, des endroits qui nous ont accueillis durant les 10 derniers jours me semble, en y repansant, plus agréable que les rires gras et tonitruants des soldats en bas.

Néanmoins, nous descendons avec une démarche prudente jusqu'à la salle à manger.

Ce n'est que pour quelques jours et ce ne sont pas mes affaires...

Je me répète cela comme un mantra et je suis surprise lorsque le bruit cesse soudainement.

En relevant les yeux, je remarque que nous sommes à nouveau au centre des convoitises. Certains sont curieux tandis que d'autres affiches clairement le dérangement qu'engendre notre présence. Ils ne doivent pas être habitués aux étrangers et encore moins à un groupe aussi nombreux. De nombreuses messes-basses fusent à notre passage et elles sont surement loin d'être candides ou empreintes de gentillesse.

Nous nous asseyons là où il reste de la place, c'est-à-dire séparés par petits groupes de 1, 2 ou 3, éparpillés à des endroits différents de la longue table.

Un soldat très poilu aux cheveux hirsute aussi enflammée que sa langue est pendue est assis à ma droite. Il est assez maigrichon mais en impose avec son aura écrasante et narcissique. Sa cuisse de poulet, croustillante et juteuse, ne fait pas long feu entre ses mains alors même qu'il discute sans s'arrêter avec ses compagnons. Rudeus, s'appelle-t-il selon les injonctions de ses voisins de table. Ce Rudeus se lèche soudainement et goulument les doigts desquels coulent le jus de son poulet. Puis, il s'essuie la bouche à l'aide de la paume de son autre main sans pour autant cesser de bavasser avec ses camarades. Un dernier rot bruyant finit de me dégouter de cet homme et de ses manières. Je détourne donc les yeux et lui tourne même le dos.