Elle

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Elle se tenait assise sur la rambarde, les yeux hagards fixés sur le vide. Ce vide lui était familier. Il lui rappelait son âme. Ce vide n'était pas apparu comme par magie. Il était progressivement apparu au fil de sa vie, quand elle s'était peu-à-peu rendu compte qu'elle courait dans le noir, sans but. Elle était née, elle avait vécu ses années scolaires dans une semi-solitude, ni rejetée ni acceptée, dans un injuste milieu. Puis elle avait trouvé un travail. Vendeuse en magasin, rien de compliqué. 

《Une bonne employée !》disait son manager.

Mais elle le soupçonnait de ne penser que la moitié de ces mots. Et elle était jolie à coup sûr. Et attirante. Les gens ne manquaient pas de lui faire remarquer. En revanche, tous les amours qu'elle a eus avaient duré quelques semaines seulement. Les hommes la trouvaient trop simplement complexe. Ou ils ne voulaient que son corps et étaient désabusés quand ils remarquaient son manque d'intérêt dans ce domaine.

Était-ce donc le résumé de sa vie ? Être constamment incomprise, que ce soit par sa famille, ses "amis" ou ses amours ? Elle n'avait jamais vu d'intérêt à sa vie. Pourquoi respirait-elle ? Pourquoi se battait-elle ? Pourquoi vivait-elle ? Elle vivait, et après ?

Elle leva sa main au niveau de son visage et la regarda. Une fine et jolie main. Elle suivit ses veines avec son doigt. Dans cette main coulait la vie. Dans cette main circulaient des espoirs, des rêves. Qu'était-elle ? Un amas de chair sanglant de l'intérieur, ou une personne ressentant des émotions, où brillait l'intelligence ? Sa vie se résumait-elle uniquement à chacune de ces secondes qui passent, comme un clou de plus à son cercueil ? Ou sa vie continuerait-elle au-delà, atteignant l'immortalité dans les souvenirs de ses proches ? Et plus généralement, sa vie s'arrêterait-elle ? Si oui alors elle pouvait choisir où et quand, car n'est-ce pas le seul contrôle que les mortels ont sur leur vie ? De décider de quand elle s'arrête ? Tout le monde meurt un jour. La consécration de la supériorité au destin n'est-il pas de lui couper l'herbe sous le pied ?

Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas la forme sombre s'approcher d'elle. Elle entendit un genre de gargouillis, inaudible à cause de la pluie.

《Sûrement une gouttière qui a lâché》marmonna-t-elle

Tout à coup, elle sentit un contact sur son épaule. Elle sursauta. En un éclair elle tourna la tête et détailla rapidement l'homme qui se tenait derrière elle.

Il portait un costume de bureau assorti d'un imperméable. Il était entièrement trempé. Il avait les cheveux sombres et la regardait. Elle croisa son regard.

RegardWhere stories live. Discover now