Chapitre 14

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Benoît

Mon oncle se prélassait tranquillement sur son vieux hamac derrière le manoir abandonné involontairement par son véritable propriétaire depuis vingt ans déjà. Le ciel était nuageux, l'humidité pénétrante, il n'écoutait que d'une seule oreille les jacasseries dénuées de sens de sa femme. Il aurait juré que Joanne allait devenir folle, tant ses défauts ne cessaient de s'accentuer à chaque minute passée. Elle lui tendit le dîner, qui comptait simplement du riz blanc et de sauce bolognaise sur un vieux plateau, sans un merci, il le prit.

Les défauts de Joanne pouvaient bien se multiplier de plus en plus, mais la dame détenait parfaitement ses petits secrets culinaires, de quoi faire pâlir les cœurs d'importants chefs. Elle se rendit chez la voisine d'à côté sans en informer son mari, celui-ci coutumier à ses mauvaises manières ne releva rien et se contenta d'avaler son repas qu'il qualifia d'exquis. C'était à ce moment-là que j'apparus, Lesly sur mes talons. J'avais fait le tour du manoir avant de le retrouver affalé sur son hamac, un plateau en main. Mon ami se pencha vers moi :

- Les salles à manger existent pour la déco ?

Je haussai les épaules. Benoît leva les yeux vers moi et poursuivit ce qu'il faisait bien avant que je misse les pieds chez lui. Il restait toujours autant silencieux, il connaissait la raison de notre visite, à en déduire son apathie encore plus lourde qu'à l'accoutumée. Je fis signe à Lesly de prendre place sur une chaise en bois traînant non loin de Benoît, il s'exécuta et je restai debout :

- Qu'est-ce que vous faites là ?

- Tu dois convaincre Rosa de...

- Kary ! Rends-moi un service, rentres chez toi et foutez-moi la paix toi et ton ami qui est en passant un véritable abruti...

Lesly ouvrit la bouche, porta une main à sa poitrine et fit un mouvement de recul, il était clairement offensé. Ce n'était pas le moment pour son ego surdimensionné de se sentir blessé par de simples mots. Sur le point de sortir ma dernière carte, celle du discours avec les larmes et des morves comme le dit toujours Lesly, celui-ci bondit de sa chaise et prit la parole à ma place :

-  J'ai quelque chose à vous proposer, j'ai une dette envers vos loas chaque fin de mois pendant deux ans ainsi que le sang frais et délicieux de Teddy le pote de David, vous en dites quoi tonton Ben ? 

Les lèvres du trentenaire s'étirèrent en un mauvais rictus, mon ami refit sa journée et il en était heureux, semblait-il. De ce fait, il allait nous aider bien évidemment et il hocha la tête d'assentiment nous incitant à déguerpir de chez lui, nous promettant de nous partager son plan dès que David fût réduit à la dernière extrémité avant d'apprécier la cuillerée restante de son riz alors que je faisais les gros yeux à mon ami. Il leva les deux pouces en l'air et je me tapai le front.

Le soir venu, éclairé par la faible luminosité de ses deux bougies, mon oncle s'allongea sur le grand sofa de son salon presque en ruine. Sa femme lui tendit du krachena qu'il prit encore sans un merci. Ce soir-là, Joanne se montra suspicieusement docile et aucune grossièreté n'avait encore franchi la barrière de ses lèvres. Connaissant de fond en comble les odieux traits de son caractère acquis, il la fixa en arquant son sourcil droit alors qu'elle prenait place silencieusement sur un vieux fauteuil face à lui :

- Tu as des ennuis, c'est ça ?

Ce doux silence de plomb à brûle-pourpoint qui habitait le manoir l'effleura d'un léger sentiment paradisiaque, si Joanne aurait pu s'approcher de l'amabilité dans le simple but de fermer son clapet tout au long de deux jours, ce serait de flotter dans l'utopie limpide qu'il côtoyait depuis longtemps déjà :

- Qu'est-ce que tu racontes là ? Bien sûr que non !

- Avec qui cette fois-ci ? Insista-t-il.

Elle soupira et se mit à triturer un bout de sa robe neuve qu'elle avait repéré dans le nouveau magasin de Duverger, avec une nervosité à peine crédible :

- C'est une amie qui a besoin d'aide Benoît...

- Encore et toujours tes petites amies Joanne, mwen pa papa bon kè non madanm, je ne peux pas passer ma vie à venir en aide à tes amies.

- Écoutes...

- Oui vas-y.

- C'est Érine, souviens-toi que c'est grâce à elle si nous vivons dans le manoir de Robert sans qu'aucun membre de sa famille ne vienne nous déranger, elle avait gardé le zombie pendant trois jours après ses funérailles chez elle, on lui doit bien ça Benoît.

- Oui oui, c'est vrai, je dois l'admettre mais dis-moi Jo', tu n'aurais pas par hasard quelque chose à en tirer toi ?

- Mais non, je souhaite simplement l'aider...

- Pourquoi je ne te crois pas ?

- Bon oui, je dois à tout prix en tirer quelque chose et c'est très important.

- Je me disais bien ! Tu n'as pas d'amie, tu ne sais pas ce que c'est l'amitié alors dis-moi, qu'est-ce qu'elle veut cette Érine ?

- Oh ! Une femme lui rend la vie insupportable en l'insultant partout, à toute heure, même lorsqu'elle revient de son école, accompagnée de ses collègues en plus. Mais quelle honte ! Heureusement, le fils de la femme est dans sa classe, je pense qu'elle atteindra son ennemie plus facilement en passant par l'enfant, qu'en dis-tu ? N'est-ce pas une idée grandiose de ma part ?

- Si tu le dis ! Mais je ne vois pas ta part d'intérêt là-dedans...

- Fais-moi confiance Ben, si je te dis que j'aurai ma satisfaction, c'est que je l'aurai, tu veux nous aider oui ou non ?

- Je vais voir ce que je peux faire, hâte de voir ce que tu en tireras.

Il demeurait sur la défensive, Joanne pouvait incarner l'exécrable lorsque cela lui disait, vivait incontestablement de turpitudes et rien ne l'affectait plus que la stérilité de Benoît. Elle en était presque heureuse, alors il jugea excellent de protéger ses arrières à lui aussi.

Sa manière de réfléchir était extrêmement poussive. Vers trois heures du matin, il quitta le salon pour rejoindre sa femme dans la chambre conjugale, celle-ci dormait à point fermer. L'idée de la faire taire à jamais lui paraissait alléchante, il se retint et s'allongea à son tour sur le dos, ses yeux plaqués au vide. De quelle façon pouvait-il affronter Rosa ? Les allocutions tendres de la mambo subsistaient encore que par son pouvoir de persuasion qu'elle ne manquait jamais d'user en toutes circonstances. Il n'était pas un bon génie, cependant une altercation entre lui et Baron Samedi s'imposait, quitte à sacrifier sa femme en retour. Quoi qu'il en soit, Joanne ne l'apportait que d'ennuis périlleux, toujours avec sa mine faussement nerveuse.

Il allait, évidemment, m'aidé moi et mon ami, car la divinité de la mort dont les lundis et les jeudis lui appartenait, lui astreindrait sans aucun doute un ultimatum. Pour lors, je reçus un appel de sa part vers six heures et trente du matin alors que j'admirais l'uniforme qui me seyait toujours devant mon miroir. Il m'ordonna qu'après les cours que je le rejoignisse, accompagné de Lesly.

À Partir Du Vaudou [ En Pause ] Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora