6. Trop d'émotions à digérer

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Je marchais silencieusement vers les jardins. Le paysage baignait dans une lumière solaire qui fut soudainement assombri par le voile de la nuit. Les visages des arbres et des plantes quittèrent leur orange flamboyant éphémère pour se métamorphoser en simples silhouettes, caressées par un rayon de lune qui transperçait les pétales des fleurs ivoires.

Mais je ne le voyais pas. Je ne pouvais pas. Bientôt, je quitterais la solitude tranquille de Fondcombe, et la paix qui régnait entre ses murs ne serait plus qu'un vague souvenir parmi tant d'autres. Le cours du destin était tracé, et rien ne pouvait l'arrêter maintenant. Dans deux jours, nous serions partis, et je serais lancée dans la grande aventure. Pourtant, au fond de moi, l'excitation me rendait fébrile, malgré mon appréhension du moment. L'inconnu m'attirait comme un aimant, me fascinait plus que tout. Voir le monde de ses propres yeux est mille fois mieux que n'importe quel rêve.

Serait-ce la cause de ma perte ? Peut-être, mais j'avais le sentiment que je ne regretterais rien. La vie est une aventure audacieuse ou rien.

Je fus interrompu dans mes pensées par des chuchotements. Sans m'en rendre compte, perdue dans mes pensées, j'avais marché beaucoup plus loin que d'habitude, et cette allée bordée de bosquets ne me rappelait rien du tout. Un buisson me bloquant la vue, je me penchai donc discrètement sur le côté pour voir à qui appartenaient les voix et oh... attendez.... OH, oups.

"Vous avez dit que que vous vous lieriez à moi, et que vous renonceriez à la vie immortelle de votre peuple."

"Et je m'y tiendrai. Je préfère partager une vie avec vous plutôt que d'affronter seule tous les âges de ce monde."

Oh. Mon. Dieu. Mon cœur de célibataire ne pouvez pas supporter autant de romance. Leur relation semblait poétique et profonde, elle me rappelait Titus et Bérénice, Tristan et Iseult, ou Roméo et Juliette. Des couples tragiques, sans espoir et magnifiques. En attendant, j'en étais au point où j'avais hâte de ne rien recevoir pour la Saint-Valentin.

J'aime le drame.

Je m'esquivais discrètement, essayant tant bien que mal de retrouver mon chemin, ce qui était difficile, vu le nombre de petits sentiers, de parterres de fleurs et de bosquets. C'était comme être dans un des ces putains de jardins de Versailles.

Fait chier, une racine. Ça fait un mal de chien.

Par chance ou non, je réussi à trouver une entrée dans une aile du palais que je ne connaissais pas. Les chances de trouver quelqu'un pour me montrer le chemin étaient maintenant légèrement plus élevées. Maudit sois-je, moi et mes promenades nocturnes.

Mes pas résonnaient lugubrement dans les couloirs vides, trop paisibles à mon goût, avec l'atroce sensation d'être seule sans l'être vraiment. Et mes sens ne me trompaient pas. Le silence qui y régnait me pesait, et je n'avais qu'une envie : retrouver le havre de sécurité et de paix qu'était mon lit.

Une légère brise repoussa les nuages qui envahissaient le ciel indigo, et un rayon de lune vint caresser le marbre pour se profiler sur une grande porte majestueuse, sculptée de volutes de fleurs et de feuilles de vigne, s'élevant de toute sa masse. Il y avait quelque chose de mystérieux, à la fois effrayant et apaisant, qui m'attirait inexorablement vers cette porte. Je posai lentement ma main sur la poignée, hésita un instant, et poussa la lourde porte. Une odeur de bois ciré et poussiéreux me prit au nez tandis que la majesté de la pièce me fit frissonner de la tête aux pieds, le souffle coupé par sa richesse grandiose. L'immense tapis aux couleurs chaudes mais délavées était parsemé de fleurs blanches brodées, assourdissant mes pas. Les émaux à la feuille d'or accompagnaient les rangées de miroirs du sol au plafond, si haut qu'il était difficile d'en voir la fin. Les rayons de lune perçaient les lustres et les chandeliers de cristal, glissant sur les volutes des murs pour venir se projeter sur les miroirs. J'avais presque honte d'avoir violé la paix de ce lieu. Mais la vue était si belle que je ne le regrettais pas. Mince, c'est vraiment Versailles.

Des chewing-gums , une guitare et un anneauWhere stories live. Discover now