Le décès de mon frère ainé

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La vérité c'est que la chair n'est rien. Il n'est rien de vrai dans ce qu'on appelle la famille. Il n'est rien de réel dans les liens du sang. On dit souvent que la famille, c'est ce qu'on a de plus précieux, que c'est ce qu'on doit conserver auprès de nous toute notre vie. Mais moi, je la hais ma famille. Parc que la vérité c'est qu'il n'existe pas au monde un peuple plus hypocrite. Dans une famille, on est tous nés obligés de s'aimer l'un l'autre, de se soutenir, de se supporter. Mais non, on ne se supporte pas. En facade oui, mais on prie tous secrètement pour la chute de l'autre.

Mon frère, il a tout pour lui : un charme exceptionnel, un cœur d'or brut, un cerveau parfaitement développé et tout ce qui va avec. Quand j'étais petit, on s'entendait bien lui et moi. En grandissant, j'ai fais mon acquisition humaine, j'y ai récupéré un peu d'envie. Cette envie a grandi en jalousie, qui m'a rendu dingue au point de ne plus pouvoir aimer. Je ne l'admire plus, je ne lui parle plus, je ne fais que souhaiter secrètement qu'il soit profondément malheureux. Que le sort s'acharne sur lui. Je suis dévoré par la jalousie.

Dés que j'ai compris que nos caractères n'étaient pas distribués au hasard mais inculqués par l'éducation, je n'ai plus eu de famille. J'en ai voulu à ma mère de ne pas m'avoir fait aussi charmant que lui, j'en ai voulu à mon père de ne pas m'avoir fait aussi sensible que lui et je lui en ai voulu à lui, de ne pas m'avoir sculpté comme sa copie conforme. 

Puis j'ai continué à grandir, avec toute cette haine enfermée en moi. 

Un jour, mon frère est mort et je ne me suis jamais senti aussi triste que cette nuit-là. Sa mort était du à un suicide. Mes prières avaient porté leur fruit. Et j'ai passé longtemps à me sentir misérable, pas parce que j'aimais secrètement mon frère, ce n'était pas le cas, mais parce que j'étais mauvais. J'étais pourri, laid d'âme, insignifiant, j'étais si mauvais. Ça m'a détruit de comprendre que jamais je ne vaudrai plus que lui, et que même si c'était le cas je ne pourrais jamais me le prouver puisqu'il était mort, je n'aurais plus jamais la chance de me comparer à lui. J'étais malade. J'étais sombre d'envie, j'avais passé ma vie à le copier et mon exemple avait disparu, même mort toute l'attention était sur lui, on me disait "sois fort, il veille sur toi" et j'avais envie de crier parce que je sais qu'il le faisait, tellement il était un homme exceptionnel. 

On avait rien en commun, moi j'étais lâche. J'étais mauvais. Il était un ange parmi les hommes, qui les guidait et les réconfortait, et moi j'étais le seul homme qui tirait de la rancœur de son apprentissage. 

Et je le détestais encore, peu importe combien il m'aimait, peu importe combien de larmes s'étaient déposeé sur son linceul et peu importe combien de vers lui déchiraient la peau à ce moment. Je le détestais encore. 

Il avait été si parfait avec moi, jamais il ne m'avait violenter, menacer, gronder. il m'avait toujours expliquer pourquoi mes actions étaient mauvaises avec une voix viril et posé, et je le détestais encore.

J'ai prié un soir, larmoyant, qu'il soit ramené à la vie pour qu'il me passe finalement à tabac. Pour me battre à sang, pour me frapper tellement que mes organes exploseraient, pour m'écraser comme une bête jusqu'à en être violet, qu'on ne soit entouré que de cris et de regards effrayés, que tout ceux qui l'adulent le craignent et voit enfin à quel point il était différent à l'intérieur. J'en ai rêvé toutes les nuits depuis sa mort. Toutes les nuits. J'en ai rêvé toutes les nuits depuis sa mort.

Ma prière n'a pas été exaucée. Et le lendemain, à l'instant précis où la première goutte de pluie s'est étalée sur sa pierre tombale, j'ai compris. J'ai tout compris. Je l'ai vu, en fait. Il était là. Il était là, tout tordu de rire et assis sur sa pierre dans son habit blanc impeccable, les yeux révulsés, les doigts pâles, sans un son qui sortait de sa bouche. J'ai voulu le frapper mais on comprenait qu'il n'était pas fait de matière. Mais c'était bien lui. Il y avait la même trace violette au ras de son cou que lorsque je l'avais trouvé. Je pensais que c'était grâce à la corde mais non, c'était parce que pendant tout ce temps, il riait de moi. Il riait. Il a sûrement bien ri, tellement ri, il s'était moqué de moi toute ses années de vie en jouant les bons samaritains dans l'unique but de me tourner en ridicule, il s'était montré patient et compréhensif avec pour seul objectif mon malheur. Il s'était juste moqué de moi tout ce temps.

Et moi, je m'étais torturé à penser qu'il était bon. Quel monstre en vérité. Je le savais, je l'ai toujours su. En rentrant du cimetière, j'ai dormi mieux que je ne l'avais jamais fait depuis sa mort. J'allais pouvoir continuer ma vie tranquillement, j'avais enfin prouvé que j'étais meilleur que lui. Quel genre d'ange torture son petit frère dès la naissance dans l'unique but de se divertir ? Il est probable qu'il ai même orchestré son suicide dans l'unique but de me voir devenir fou à l'idée de ne jamais pouvoir le surpasser. Quel monstre. 

J'ai tout de même continué a rêve chaque soir de lui, au dessus de moi en train de m'asséner des coups fatals. Pendant longtemps. Jusqu'aujourd'hui même.

Aujourd'hui, j'ai décidé d'essayer une nouvelle méthode pour y remédier. On m'avait conseillé la thérapie et j'y suis allé, en ayant la bêtise de croire que peut-être ça pourrait me sauver. Ca ne m'a pas sauver. Mais je suis sûr de ma méthode cette fois. Le point positif c'est que depuis ma dernière visite, où je l'ai vu limpidement se moquer de moi, je l'ai moins détesté. Le point négatif c'est que le doute s'est intensifié en moi, et que je me suis dis que peut-être il avait fait exprès de rire de moi, pour soulager ma détresse. En bon sauveur. Alors je l'ai détesté encore. 

Mais aujourd'hui, tout cela va changer. On m'a conseillé plein d'astuces pour faire mon deuil et je l'ai toute essayé. Rien n'y a fait. Je pense encore à lui à chaque minute de la journée. Je m'en vais alors au cimetière et avec mon matériel tout neuf, je contemple sa tombe fièrement. Puis je creuse. Après quatres bonnes heures de labeur, à un temps surement bien avancée de la nuit, son cercueil est entièrement dégagé. Je l'ouvre, accueilli par les restes de mon grand frère et m'installe entre ses os. Par un mécanisme curieusement bricolé de bâton et de ficelle, que j'ai préparé toute l'année, je referme le cercueil, un peu serré pour nous deux et la terre nous retombe dessus. C'est chaud. Ses os me transpercent la peau et l'odeur est nauséabonde mais j'y suis bien, la chair n'est rien comparé à ma tourmente.

Aujourd'hui, ça fait 40 ans que le décès de mon frère ainé me torture, mais pour la première fois je m'endors sans insomnies et sans cauchemars. 

Recueil Where stories live. Discover now