Chapitre 32 - Le Traité

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Le manque d'air me ramène à l'urgence. Je me débats dans l'eau d'un froid paralysant, bringuebalée de tous les côtés. Il me faut remonter. Remuer comme sous les gravats de la serre. Pas pour moi. Pour les Apsis. Pour Ashtar.

Un choc cogne contre ma poitrine. L'eau salée, âcre, s'infiltre dans ma gorge et mes poumons. La pression m'écrase. Elle redouble dans mon thorax. Je tente de me stabiliser dans le courant, agrippe le harpon d'une coque d'œuf et cherche à aspirer l'air. Je retombe. Recommence. En feu, j'éprouve le roulis furieux des flots. Le sang rugit à mes oreilles. Des taches noires s'agrandissent devant mes yeux.

Une perche me happe et me soulève hors de l'eau. L'extraction brutale me coupe le souffle. Le visage a l'air libre un instant, je replonge dans les eaux crépitantes. Des bras m'arrachent aux éléments et je me laisse tomber sur un pont oscillant. La lumière crue m'assaille. Mes membres, glacés et transis, refusent de m'obéir.

Un éclair de douleur me traverse le corps. Électrifiée, le souffle saccadé, je me relève sur les coudes et les genoux. La vision trouble, je crache et m'époumone, laissant peu à peu entrer l'air par des hoquets douloureux.

Ma gorge irradie et l'air sent la poudre.

Je ne vois rien. Absolument rien. Après avoir séjourné dans l'obscurité pendant si longtemps, la soudaine luminosité du soleil m'aveugle.

Une paume presse mon front et le voile se lève sur mes yeux.

Harassée, dégoulinante, je me hisse contre le parapet. Tout tangue. Mes jambes cèdent. Les bras de mon sauveteur me retiennent fermement de passer par-dessus bord.

L'écume qui s'écrase contre la coque est rougeoyante. Des corps par centaines flottent, éventrés, mutilés. Sur les galères lourdement armées, des soldats protégés par des heaumes et des armures argentées décochent des javelots sur le peu de rescapés.

Les bras qui me soutiennent avec une détermination inébranlable appartiennent à Ryön.

Je m'écroule comme un fracas d'écume.

Le Capitaine était tout ce que j'espérais. Avant.

Le lien télépathique avec l'esprit d'Ashtar s'est rompu. Pour toujours, il s'est tu.

Des cris retentissent depuis les vaisseaux environnants. Accrochés aux cordages pour garder l'équilibre, les marins pointent leurs doigts sur une masse grandissante venue des abysses. Elle se rapproche inexorablement de la surface. Sa vitesse est fulgurante et sa circonférence, titanesque. L'effroi fait s'ouvrir en grand les bouches des Elfes rassemblés sur le pont.

Des mouvements de panique se propagent sur d'autres bateaux violemment ballottés par les remous.

Le navire en face est pris dans un maelström. En une gerbe de vagues, une gueule béante jaillit, masquant la lumière du soleil. Les mâchoires noires font gicler des torrents d'eau de chaque côté du bâtiment, révélant plusieurs rangées concentriques de dents crénelées. Dépassant la grand-voile, les mâchoires se referment. En un instant, la coque et le mat cèdent en un craquement effroyable.

Le vaisseau disparaît dans l'eau houleuse.

Une nageoire rigide s'abat sur une autre galère et la renverse. L'épouvante se propage aux autres bâtiments.

L'étau de Ryön me gêne. Je risque un regard vers lui. Tétanisé, il est livide.

Lui aussi a compris : un Enfant d'Anakhsheera a entendu Ashtar.

Le bateau vire de bord. Les marins s'égosillent. La gueule réapparaît et engloutit un autre navire. Les canons sont projetés dans les airs. Notre mat se fracasse à l'avant et le pont s'enfonce dans les flots.

Fendôr - Tome 1Where stories live. Discover now