XIII

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Il revint à lui et la lointaine clarté des étoiles chavirait dans un lent
vertige. Une douleur aiguë le clouait au sol. « El desgraciado... Je vais mourir. » Il essaya de se lever. Il retomba sur la face. « Je vais mourir ; sur la grand-route ; comme un chien. » Il réussit à se dresser sur les coudes et se traîna un peu. Il était trop faible pour crier à l'aide. Qui l'aurait entendu dans cette nuit abandonnée au silence et au sommeil ? Avec un immense effort, le côté et l'épaule déchirés par les coups de poignard, il se mit debout, vacillant comme un homme ivre, les genoux tremblants, les pieds de plomb. Et toujours ce roulis du ciel, cette nausée affreuse. Il fit quelques pas en titubant. Chaque mouvement lui coûtait une élancée terrible de ses blessures. Il essuya sa bouche d'où coulait du sang. Les mains étendues en avant comme un aveugle qui se fraie un chemin dans les ténèbres, il traversa la route. Mais le pied lui manqua dans le fossé et il s'écroula.

S'accrochant des ongles aux chardons et aux herbes, il rampa jusqu'à la clôture et se remit debout avec une tension de volonté désespérée. Il haletait et une sueur glacée mouillait sa face. Ses doigts crispés suivaient la clôture ; il allait dans une nuit éblouie d'éclairs, la tête ballante, trébuchant contre les pierres. Des défaillances écœurantes qui
naissaient avec le vomissement de quelque chose d'épais, de caillé, faisaient céder ses jambes. Du bras, il entourait un poteau, mais son poids inerte l'entraînait, il roulait par terre. Il se réveillait, plus faible chaque fois, mais la pensée inflexible d'atteindre la barrière de sa case ressuscitait ses dernières forces. Il avançait sur le ventre, se hissait jusqu'à la clôture. Le ciel avait pâli et au levant, une frange de lumière
annonçait peut-être l'aurore quand il arriva à la barrière. Il se glissa sous les bambous. Le sentier courait devant lui comme un ruisseau sous le reflet de la lune. Le petit chien accourut, aboyant avec détresse, effrayé de cet homme qui marchait sur les mains et les genoux vers la case.

— Il s'abattit de tout son corps contre la porte.

— Qui est là ? cria la vieille.

— Maman, gémit-il.

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Le chien hurlait.

— Je demande qui est là ? répéta la vieille.

Elle se leva, alluma la lampe. Une angoisse mortelle la fit trembler.
Derrière la porte, dans le noir, une plainte entrecoupée :

— T'en prie, maman, fais vite.

— Manuel ? Jésus-Marie-Joseph.

Il était étendu devant elle. Elle hala, avec ses pauvres bras, ce grand corps jusqu'à la chambre. Alors elle aperçut le sang et poussa un cri.

— Je le savais, je le savais, on l'a assassiné, on a tué mon petit. À
moi, mes amis, au secours, mes amis.

— Paix, maman, paix, dit Manuel dans un souffle. Ferme la porte et aide-moi à me coucher, maman.

Elle l'apporta presque jusqu'au lit. Où prenait-elle la force, la vieille
Délira ? La pensée qu'il allait mourir l'affolait. Elle le déshabilla. Deux petites plaies noires perçaient son côté et son dos. Elle déchira un drap, banda les blessures, alla allumer le feu pour faire bouillir des feuilles de calebassier.

Manuel était couché, les yeux fermés, respirant avec peine. La
lampe éternelle brûlait sous l'image d'Ogoun. Le dieu brandissait un sabre et son manteau rouge l'enveloppait d'un nuage de sang.

GOUVERNEUR DE LA ROSÉEWhere stories live. Discover now