4 - Les voyageurs parasites

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Kaïton s'allongea dans le module, le rembourrage s'adapta parfaitement à sa tête, il le régla sur une heure de sommeil accéléré. Il s'étonnait lui-même de la confiance qu'il éprouvait envers le professeur qu'il connaissait à peine. Le couvercle se referma dans un léger chuintement et Kaïton plongea dans un sommeil profond. Il s'envola alors pour le merveilleux monde des songes. Il était dans une étrange forêt glaciale. Des conifères géants d'un noir étonnant semblaient occuper tout l'espace par leur taille imposante tandis que d'autres végétaux de dimensions plus modestes étendaient leurs grâces dans les sous-bois. Il remarqua alors une douce mélopée, profonde comme si les êtres de la forêt entière s'unissaient en un chœur aux harmonies majestueuses. Une silhouette apparut entre les ramures noires de jais. Elle s'avançait dans la brume froide et semblait murmurer à Kaïton des mots encore inaudibles, mais dont l'intensité augmentait tandis que la femme s'approchait. Il pouvait maintenant distinguer l'ombre de sa grande tante, Li. Elle lui disait de suivre son cœur, et de ne pas l'oublier. À présent Kaïton se souvenait de ce paysage, de cet endroit si apaisant où il s'était rendu de nombreuses fois quand il était encore enfant. La vision disparut et il s'en alla vers d'autres mondes merveilleux. Il se réveilla tiré doucement du sommeil par une lointaine mélodie dont il se rapprochait au fur et à mesure qu'il émergeait.

Akira Tanenseï était en train de faire des sacs de vivres pour le long périple dans lequel ils s'apprêtaient à s'engager. En apercevant Kaïton il dit « Tiens, je t'attendais, viens donc voir le plan détaillé de notre voyage. » Il l'emmena dans une pièce adjacente, il appuya sur un bouton et la lumière s'éteignit tandis qu'une représentation en trois dimensions de la ville de Nameöra apparaissait dans la salle. Le professeur pointa du doigt un quartier résidentiel « Nous sommes là, au milieu de cette tour. Nous partirons dans cette direction, dit-il en déplaçant son doigt vers l'espace au-dessus du centre de la mégapole. Le croiseur partira de cet endroit, malheureusement c'est à l'opposé de là où nous sommes actuellement. Le croiseur évoluera ensuite au-dessus de la ville jusqu'à ce point-là, continua-t-il en montrant un point à la verticale de la plus haute tour du centre de Nameöra. A cet emplacement le croiseur passera en vitesse superluminique, Nous devrons donc l'aborder avant ce moment.

– Mais nous n'avons pas d'autorisation de décollage, objecta Kaïton, comment comptez vous aller jusqu'à cet endroit, ce doit être très sécurisé, non ?

– Ne t'inquiète pas, rassura le maître, nous avons un bouclier furtif qui nous rend indétectables aux yeux des radars. Par contre au moment de l'amarrage il faudra que nous soyons rapides et discrets pour ne pas déclencher d'alerte et ne pas louper le vaisseau, sans quoi nous n'aurons d'autre choix que d'attendre le croiseur suivant et nous risquerions de perdre Neutriss de vue.

– Par contre ne me dites pas que vous comptez rester accroché au croiseur comme un parasite pendant toute la durée du voyage !

– C'est la seule solution Kaïton, si nous essayons de forcer les portes d'urgences des navettes de secours une alarme se déclencherait et nous ne pourrions pas aller bien loin. Je te conseille de finir de préparer tes affaires. Prends juste quelques combinaisons auto-thermiques légères et une sur-combinaison chaude. Il fera sans doute très froid là où nous irons et nous n'avons pas de place pour du superflu. »

Neutriss obsédait continuellement Kaïton, pensant à elle, il espérait la revoir le plus vite possible et il était attristé de savoir qu'il allait devoir passer tout le voyage vers Proximapolis β dans une espèce de boite de conserve antique qui semblait incapable de décoller. Le pire, pensait-il, était que Neutriss serait tranquillement en train de profiter de la croisière, ne se doutant de rien. Elle l'aurait sans doute même oublié.

Ils étaient tous les deux dans la pièce du vaisseau spatial et Akira invita Kaïton à monter dans l'engin. Ce dernier s'étonnait de l'absence de porte pour pouvoir sortir et voler à l'air libre mais il se disait que son maître allait ouvrir une porte dérobée. Kaïton s'inquiéta quand Akira le rejoignit dans l'espace exigu de la cabine de pilotage sans n'avoir rien ouvert :

« Comment compter vous sortir de cette pièce ? questionna Kaïton.

– Ce n'est pas un problème, je ne prévois pas de revenir ici avant longtemps, un mur de plus ou de moins ce n'est pas très grave, répondit Akira Tanenseï.

– Vous voulez sérieusement traverser le mur ? s'exclama Kaïton, estomaqué par le calme avec lequel le professeur venait de lui annoncer qu'ils allaient décoller en défonçant un mur. Et puis, continua-t-il, j'espère que ce n'est pas la première fois que vous pilotez ce vaisseau ?

– Oh, non, soupira-t-il, ce n'est pas la première fois et je t'assure que c'est une robuste machine !

– Il faudra que vous m'expliquiez votre histoire, songea Kaïton à voix haute, s'interrogeant sur la vie antérieure du professeur d'art martiaux.

– Arrête un peu de parler pour ne rien dire. Ouvre la bouche seulement en cas d'urgence. » En concluant la discussion Akira Tanenseï alluma les moteurs. Un gigantesque vrombissement remplit la pièce. Les murs se mirent à trembler tandis que l'engin se soustrayait lentement à l'emprise du sol. Soudain le vaisseau accéléra et brisa le mur comme une feuille de papier. Ils aboutirent dans un puits d'aération entre quatre tours. Akira redressa l'astronef à la verticale tandis qu'il pestait contre le bouclier furtif qui ne voulait plus redémarrer suite à l'impact du mur. Le voyant indiquant l'activité du système anti-détections clignota quelques secondes puis se stabilisa. L'élève et son maître pouvaient enfin parcourir le ciel de Nameöra.

Quelques minutes plus tard ils observaient l'immense croiseur interstellaire s'approcher lentement du point où était le ridicule vaisseau du professeur Tanenseï. Akira avait préparé les grappins magnétiques pour s'ancrer sur la coque d'acier du vaisseau géant. Il prévoyait de s'accrocher non-loin d'une navette de secours au cas où... « On ne sait jamais » répétait le professeur quand Kaïton lui posait la question. L'énorme mastodonte de métal évoluait lentement dans la haute atmosphère de la planète Kanwho tandis Kaïton et son maître se camouflaient parmi les déchets en orbite autour de la planète. De cette manière ils restaient indétectables aux yeux du croiseur. Ce dernier allait bientôt arriver au point de passage en vitesse superluminique et les super-réacteurs nécessaires à l'accélération étaient déjà presque allumés. L'Opsak 36 se rapprocha en douceur du croiseur, il devait s'amarrer sans aucun choc pour ne pas déclencher les alarmes. Tanenseï repéra ce qui semblait être un panneau de sortie pour capsules de secours qui ne s'ouvrirait qu'en cas extrême. Il dirigea l'engin dans cette direction. Ils ne risquaient plus d'être repérés car ils longeaient maintenant le flanc du géant d'acier et aucune caméra n'était présente. Kaïton prit les commandes du grappin magnétique qui devait effectuer la première phase de l'amarrage. Il l'envoya contre la coque et tandis qu'il le rétractait, Tanenseï déployait un bras mécanique, plus robuste qui servirait à l'ancrage durant le voyage. A peine étaient-ils solidement accrochés que le croiseur accéléra pour atteindre sa vitesse de croisière. Les passagers de l'Opsak furent écrasés sur leur siège puisque leur vaisseau ne comportait pas de compensateur gravitationnel et ne bénéficiait donc que partiellement de celui du croiseur. Une fois la vitesse stabilisée la longue attente commença. Le voyage devait durer onze jours et un peu plus de sept heures.

Les premiers jours passèrent sans encombre, Kaïton et son professeur se mesuraient dans des jeux de stratégies ou réalisaient de nombreux exercices physiques pour compenser l'absence de pesanteur. Cependant le maître Tanenseï restait très évasif quand Kaïton lui posait des questions sur sa vie antérieure et ce dernier commençait à s'ennuyer de cette vie confinée.

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J'espère que vous appréciez la lecture. Merci d'être arrivé jusqu'ici ! Si jamais vous avez besoin, à la toute fin il y a un petit guide contextuel qui pourra vous aider à vous y retrouver entre les différentes planètes et lieux de ce récit. Il y a aussi plein d'indications sur le monde dans lequel évoluent nos protagonistes !

Le sang des Numuris - I L'ArmeWhere stories live. Discover now